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dimanche 5 mai 2013

Un bien mauvais usage du droit de préemption

Qui est condamné par cette décision :


"Vu la requête, enregistrée le 8 juin 2011 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour la COMMUNE DE SAINT-OUEN, représentée par son maire en exercice, par Me E... ; la COMMUNE DE SAINT-OUEN demande à la Cour :


1°) d'annuler le jugement n° 1006175 du 7 avril 2011 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil l'a condamnée à verser à Mme B...A...la somme de 21 400 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2010 ;


2°) de rejeter la requête aux fins d'indemnisation de MmeA... ;


3°) de mettre à la charge de Mme A...la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Elle soutient :


- que les premiers juges en méconnaissant les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative dès lors qu'ils ont soulevé d'office, et sans inviter la commune à présenter ses observations, le moyen tiré de l'absence de base légale de la décision litigieuse, moyen qui n'est pas d'ordre public, ont entaché leur jugement d'irrégularité ;
- qu'ils ont entaché leur jugement d'une erreur de fait et de droit en considérant que la commune ne disposait pas en application des articles L. 300-1 et L. 210-1 du code de l'urbanisme d'un projet réel sur le bien préempté ou qu'elle se serait bornée à une motivation par référence au programme local de l'habitat ; que l'appréciation des premiers juges procède d'une dénaturation pure et simple des pièces du dossier ; que l'absence prétendue de projet de la commune s'avère dénuée de sens en ce qui concerne la constitution d'une réserve foncière permettant de répondre aux besoins futurs de la commune ; que la renonciation de la commune à la préemption ne peut avoir pour effet d'entacher d'illégalité la décision initiale de préempter ni ne révèle une absence de projet réel contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le délai entre la décision de préemption et la renonciation à acquérir le bien s'avérant indifférent à cet égard ;
- que le jugement est entaché d'une erreur de fait, la décision de préemption a été transmise au contrôle de légalité le 19 janvier 2010 ;
- que subsidiairement le jugement est entaché d'une erreur de fait et de droit en tant que les premiers juges ont considéré que la décision litigieuse manquait de base légale alors que la commune a étendu le droit de préemption urbain aux biens mentionnés à l'article L. 211-4 du code de l'urbanisme par une délibération dûment motivée en date du 26 mai 1987 ;
- qu'en tout état de cause la décision de préemption du 18 janvier 2010 est suffisamment motivée notamment par les dispositions de l'article L. 221-1 du code de l'urbanisme et la constitution d'une réserve foncière visant à permettre à terme les relogements nécessités par les opérations d'amélioration de l'habitat pour les secteurs Croizat-Hermet et Pasteur-Glarner et de lutte contre l'habitat indigne dont la réalité n'est pas discutée par Mme A...; que l'erreur de droit qu'aurait commis la commune en préemptant avec le seul but de lutter contre la spéculation foncière n'est pas établie, la seule circonstance que la commune ait renoncé à préempter étant sans incidence ; que le prétendu détournement de pouvoir ne l'est pas davantage, Mme A...ayant elle-même renoncé à l'aliénation sans que le juge de l'expropriation qui seul pouvait fixer le prix de vente ne statue ; qu'ainsi la décision n'est pas fautive ; qu'à titre subsidiaire le lien de causalité entre la décision illégale et le préjudice qui résulterait d'une diminution subie du prix et d'un retard dans la vente n'est pas établi ; que seuls les vendeur et acquéreur ont décidé de diminuer le prix de vente comme le démontre le compromis de vente du 30 janvier 2010 qui ne vise ni la décision de préemption du 18 janvier 2010 ni même la condition suspensive du premier compromis de vente de non exercice du droit de préemption ; qu'en tout état de cause le préjudice invoqué par Mme A...n'est pas justifié, la vente s'étant effectuée au prix du marché comme il ressort de l'avis des domaines du 18 décembre 2009 ; que le retard dans la vente n'est pas davantage imputable à la commune et rien ne fonde l'application d'un taux d'intérêt majoré pour calculer ce préjudice ; que le prétendu préjudice moral ou troubles de toute nature dans les conditions d'existence n'est ni justifié ni fondé ni sérieux et ne relève en rien d'un fait de la commune dans la mise en oeuvre d'une prérogative de puissance publique ;


..........................................................................................................


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu le code de l'urbanisme ;


Vu le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;


Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 octobre 2012 :
- le rapport de Mme Geffroy, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Agier-Cabanes, rapporteur public,
- les observations de Me E..., pour la COMMUNE DE SAINT-OUEN,
- et les observations de Me C...substituant Me D...pour MmeA... ;


Sur la régularité du jugement attaqué :


Considérant que la COMMUNE DE SAINT-OUEN soutient que les premiers juges auraient méconnu les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative en relevant d'office, sans procéder à sa communication aux parties, le moyen tiré du défaut de base légale de la décision de préemption du 18 janvier 2010 ; que, cependant, ce moyen manque en fait dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A...avait fait valoir, dans sa demande, qui a fait l'objet d'une communication à la commune, que l'appartement faisant l'objet de la décision contestée était une copropriété pour laquelle n'était pas applicable le droit de préemption urbain de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ; qu'ainsi, en jugeant, au demeurant par un motif surabondant, que, " dès lors que, s'agissant de la préemption d'un lot en copropriété depuis au minimum 1986, date d'achat par Mme A...du bien, la commune de Saint-Ouen ne justifiait pas d'une délibération ayant institué le droit de préemption renforcé sur tout ou partie du territoire ", les premiers juges n'ont pas entaché le jugement d'irrégularité ; que s'agissant d'un motif surabondant, la circonstance que, la commune de Saint-Ouen ayant produit dans une note en délibéré la délibération instituant le droit de préemption urbain renforcé, ce motif est erroné, est sans influence sur la régularité du jugement attaqué ;


Au fond :


Sur la responsabilité pour faute de la commune :


Considérant qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans la cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine. " ; qu'aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. " ; qu'enfin aux termes de l'article L. 221-1 du même code : " L'Etat, les collectivités locales (...) sont habilités à acquérir des immeubles, au besoin par voie d'expropriation, pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation d'une action ou d'une opération d'aménagement répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 " ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption ; qu'en outre, la mise en oeuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant ;


Considérant d'une part, que si la décision de préemption du 18 janvier 2010 indique que " le bien (...) se situe à mi-chemin des secteurs OPAH " Gambetta -Mathieu " et " Croizat-Hermet " et que la préemption est réalisée pour constituer une réserve foncière, " en vue de favoriser la politique locale de l'habitat, telle que définie par le programme local de l'habitat, adopté par délibération du conseil municipal du 5 février 2001 " et " permettre l'accomplissement des interventions de la commune pour lutter contre l'habitat indigne et ce, conformément aux articles L. 210-1, L. 221-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ", elle ne fait pas apparaître par ces mentions ni par aucune mention la nature du projet d'aménagement envisagé par la collectivité ; que la Convention OPAH-RU " Croizat-Hermet " du 13 mai 2005 n'atteste pas davantage de la volonté d'intervention de la commune dans le secteur où se situe le 26 rue des Rosiers, cette opération de renouvellement urbain n'étant délimitée pour la rue des Rosiers que par les numéros 50 à 64 ; que les " mesures liées au relogement ou à l'hébergement " du document portant protocole de coopération dans la lutte contre l'habitat indigne passé avec l'État pour la période 2009-2013 ne prévoit pas davantage d'acquisition d'appartements pour constituer une réserve foncière en vue de loger des familles qui seraient touchées par l'habitat indigne ; qu'ainsi la réalité du projet d'action ou d'opération d'aménagement invoqué à l'appui de la décision de préemption en vue de constituer une réserve foncière dans le secteur où se situe le bien préempté n'est pas établie ; que, dès lors, la décision de préemption en date du 18 janvier 2010 est entachée d'illégalité ; que cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la COMMUNE DE SAINT-OUEN à l'égard de MmeA..., qui est, dès lors, fondée à demander réparation du préjudice direct et certain qui en est résulté pour elle ;


Considérant, d'autre part, qu'il résulte de déclarations du maire de la commune faites à divers médias, auxquelles se réfère expressément Mme A...dans ses écritures, qu'il use systématiquement du droit de préemption à seule fin de peser sur le prix de l'immobilier, le détournant ainsi de son objet ; que, dans ces conditions, la commune ne dément pas utilement les assertions de Mme A...relatives à des manoeuvres ayant eu pour objet la souscription d'une nouvelle déclaration d'intention d'aliéner à un prix minoré ; qu'il suit de là que le détournement de pouvoir allégué doit être tenu pour établi ;


Sur le préjudice :


Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de la déclaration d'intention d'aliéner son appartement pour un montant de 128 000 euros souscrite par Mme A...le 26 novembre 2009, la COMMUNE DE SAINT-OUEN a décidé, le 18 janvier 2010, d'exercer son droit de préemption sur ce bien pour un montant de 91 440 euros ; que le service des domaines, qui avait été saisi par la commune le 1er décembre 2009, a fourni le 18 décembre suivant une évaluation du bien à 107 000 euros ; qu'après avoir renoncé à l'aliénation de son bien le 19 janvier 2010, Mme A... a souscrit, le 4 février 2010, une nouvelle déclaration d'intention d'aliéner pour un montant de 107 000 euros à la suite de laquelle le maire de la commune lui a délivré le 11 février 2010 un certificat de non préemption ; qu'elle a finalement réalisé la vente de l'appartement avec l'acheteur initial le 13 avril 2010 au prix de 107 000 euros ;


Considérant, en premier lieu, que la circonstance que Mme A... a accepté de souscrire une nouvelle déclaration d'intention d'aliéner à un prix inférieur à celui contenu dans la précédente n'est pas de nature à démontrer en l'espèce, eu égard à ce qui a été dit précédemment, quant aux conditions dans lesquelles cette deuxième déclaration est intervenue, que l'intéressée n'aurait subi aucun préjudice direct ; qu'ainsi la différence entre le montant du compromis de vente ayant précédé la première déclaration d'intention d'aliéner et fixé à 128 000 euros et le prix effectif de la vente réalisée ultérieurement de 107 000 euros constitue un préjudice direct et certain résultant de la décision illégale du 18 janvier 2010 ;


Considérant, en deuxième lieu, que le montant du préjudice subi par Mme A... tiré de l'impossibilité de disposer de la somme qu'elle pouvait retirer de l'aliénation de son bien est défini, dans l'hypothèse où la vente initiale était suffisamment probable, par le prix mentionné dans la promesse de vente et la période courant de la date de cession initialement prévue à la date de vente effective ; qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que les conditions suspensives figurant dans la promesse de vente établie le 31 octobre 2009 rendaient ladite vente suffisamment probable ; que, d'autre part, si ladite promesse de vente devait être régularisée au plus tard après 3 mois soit le 31 janvier 2010, pour un montant de 128 000 euros, il résulte de l'instruction que la vente effective a finalement eu lieu le 13 avril 2010, soit 72 jours plus tard ; qu'il y a lieu d'appliquer, sur cette période, le taux d'intérêt légal pour 2010 de 0,65 %, et de condamner la COMMUNE DE SAINT-OUEN à verser à Mme A...la somme de 164 euros ; qu'il n'y a pas lieu au cas d'espèce de faire application d'un taux majoré de cinq points ;


Considérant, en troisième lieu, que Mme A...fait état de troubles dans les conditions d'existence liés principalement au retard mis à l'achat d'un nouveau bien et aux conditions temporaires d'hébergement qui en ont découlé alors qu'elle était âgée de 67 ans ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre en lui allouant une indemnité de 1 500 euros ;


Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la somme globale que la COMMUNE DE SAINT-OUEN est condamnée à verser à Mme A...doit être portée à 22 664 euros ;


Sur les intérêts :


Considérant que la somme de 22 664 euros doit porter intérêts à compter du 6 mai 2010, date de réception de la réclamation préalable de Mme A...par la COMMUNE DE SAINT-OUEN ;


Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :


Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la COMMUNE DE SAINT-OUEN la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la COMMUNE DE SAINT-OUEN au titre de ces mêmes dispositions ;


D E C I D E :


Article 1er : La COMMUNE DE SAINT-OUEN est condamnée à verser à Mme A...la somme de 22 664 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2010.
Article 2 : Le jugement n° 1006175 du 7 avril 2011 du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.


Article 3 : La COMMUNE DE SAINT-OUEN versera à Mme A...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A...ainsi que les conclusions de la COMMUNE DE SAINT-OUEN sont rejetés."

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