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dimanche 24 avril 2016

Courtage matrimonial et pratiques commerciales trompeuses

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 janvier 2016 évoque la société EUROCHALLENGES et retient la notion de pratiques commerciales trompeuses en matière de courtage matrimonial.



"Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles L. 121-1, L. 121-1-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6, L. 213-1 et L. 213-6 du code de la consommation, des articles 111-4, 121-2, 131-38 et 131-39 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

«  en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Mme Y… et la société Eurochallenges France coupables de pratiques commerciales trompeuses, a en conséquence condamné Mme Y… à une peine d’amende de 10 000 euros et la société Eurochallenges France à une peine d’amende de 20 000 euros, a reçu M. Z… en sa constitution de partie civile, a déclaré Mme Y… et la société Eurochallenges France responsables du préjudice subi par M. Z… et les a condamnés à lui verser la somme de 12 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

«  aux motifs que, sur le défaut d’information sur les contrats d’adhésion relativement au droit de rétractation, l’article L. 121-1, II du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, dispose qu’une pratique commerciale est trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale, dès lors que celle-ci ne ressort pas du contexte et précise notamment que, dans toute communication commerciale constituant une invitation à l’achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé sont considérées comme substantielles les informations relatives à l’existence d’un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi ; que la loi du 23 juin 1989, sur le courtage matrimonial a instauré un droit de rétractation pendant un délai de sept jours disposant que la renonciation au contrat est effective lorsque le consommateur a manifesté de manière non équivoque sa volonté de se rétracter, notamment par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par la remise au professionnel, contre récépissé, d’un écrit contenant cette renonciation, sans toutefois prescrire de forme d’information du consommateur à peine de nullité ; que la loi du 4 août 2008, précitée a, en revanche, érigé en délit de pratique commerciale trompeuse toute communication commerciale omettant ou fournissant de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information relative au droit de rétractation ; que le procès-verbal de la direction départementale de la protection des populations du Rhône, qui fait foi jusqu’à preuve contraire en application de l’article L. 450-2 du code de commerce, révèle que le site internet de la société Eurochallenges n’inclut aucune précision concernant le prix des prestations proposées ; que la totalité de l’information reçue par le consommateur est faite dans une unité de temps au cours de l’entretien avec la conseillère, que le dossier d’adhésion est composé du contrat d’adhésion ne mentionnant pas les conditions d’exercice du droit de rétractation, d’un questionnaire d’orientation pré-conjugal, d’un document portant sur les questions de personnalités et les désirs de rencontres et d’un fascicule publicitaire incluant des témoignages et la charte de déontologie, laquelle ne précise pas les conditions du droit de rétractation ; que le contrat d’adhésion est proposé à la signature du client à l’issue du rendez-vous à l’agence avec une conseillère ; que comme ni la société poursuivie, ni Mme Y… ne rapportent la preuve d’une information claire, précise à laquelle il peut être fait référence pendant le délai légal permettant au consommateur de réfléchir à l’abri de toute pression ou charge émotionnelle et le cas échéant d’exercer son droit de rétractation par lettre recommandée pendant sept jours après signature d’un contrat à l’agence et comme en revanche il est démontré que ni M. A…, ni M. B…, ni M. Z…, ni aucun autre client pendant la période de la prévention, ne disposaient d’une information écrite donc intelligible et non ambiguë au sens du texte d’incrimination sus-rappelé, permettant de se rétracter après réflexion à l’abri de la charge émotive générée par un engagement touchant particulièrement à l’intimité humaine ; qu’il convient de confirmer les premiers juges qui, sans méconnaître le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, ont retenu à bon droit qu’eu égard aux circonstances entourant la signature du contrat d’adhésion, la société poursuivie et sa représentante avaient commis en toute connaissance de cause eu égard à leur expérience professionnelle respective les faits reprochés dans les termes de la prévention ; que, sur les allégations, indications et présentations sur les caractéristiques essentielles du service, les fonctionnaires de la direction départementale de la protection des populations du Rhône habilités à dresser le procès-verbal du 4 juin 2010, après avoir procédé contradictoirement conformément aux exigences légales, ont constaté que les photographies de Véronika et Christophe et de Madina (présentée comme exerçant la profession de médecin) et Philippe (présenté comme exerçant la profession de gérant de société) désignés en qualité de témoins apparaissant sur le document publicitaire intitulé « témoignages authentiques consultables à nos bureaux » ne correspondaient pas aux images des témoins dont il était excipé ; que contrairement à ce qui est affirmé, aucune preuve contraire n’est faite par les prévenues ; qu’il a également été constaté que la page internet du site de la société, le fascicule présenté aux consommateurs et les documents commerciaux faisaient apparaître le centre national de recherches en relations humaines et Eurochallenges comme deux entités distinctes, la première, contrôlant la seconde, trompant ainsi le consommateur sur la fiabilité de la société proposant le courtage matrimonial ; qu’il convient de confirmer les premiers juges qui ont retenu que ces faits avaient été commis en toute connaissance de cause, dès lors qu’à l’évidence les mentions relevées dans le procès-verbal du 4 juin 2010, telles que les phrases suivantes : « le CNRRH est le premier organisme professionnel consacré à l’avancement des Relations Humaines Internationales en Europe Francophone ; qu’il est également le seul habilité à décerner les titres de conseiller en Relations Humaines Eurochallenges » inscrites dans le paragraphe intitulé « A propos du CNRRH » précédant celui intitulé « une déontologie qui rassure » ou encore sur le papier à entête, les cartes, contrats d’adhésion et autres documents commerciaux la mention « Eurochallenges est régi par le Centre National de Recherche en Relations Humaines, Sarl ¿ », ou encore la présentation faite par Mme Y… dans les termes suivants « le fonctionnement du groupe Eurochallenges est sérieux et contrôlé : tout d’abord, il est régi par le CNRRH ce qui représente une garantie pour les adhérents » sont à l’évidence des allégations de nature à induire en erreur s’agissant de la publicité afférente à une seule société commerciale exerçant sous la forme d’une société ; que la multiplicité de ces mentions caractérise l’élément intentionnel contesté par les prévenues ; que les fausses allégations sur les dizaines de témoignages par jour, annoncées sur le site internet doivent également être retenues parmi les pratiques commerciales trompeuses, dès lors qu’elles sont insérées dans l’ensemble de présentations, indications et allégations portant sur les caractéristiques essentielles du contrat ; que, sur l’affirmation mensongère concernant l’approbation par un organisme public, en utilisant le terme organisme pour désigner le CNRRH à plusieurs reprises, en mentionnant que le CNRRH est un organisme de contrôle, qu’il a une mission de contrôle de l’exercice de la profession dans les phrases telles que « Le Centre National de Recherche en Relations Humaines (C. N. R. R. H) est un organisme de référence incontournable dans le domaine des Relations Humaines et du conseil relationnel en France, Suisse et Belgique » ou « Organisme de référence incontournable dans le domaine des Relations Humaines et du conseil relationnel en France, Suisse et Belgique », ou encore « Eurochallenges est membre du Centre National de Recherche en Relations Humaines, CNRRH, qui veille au respect scrupuleux de la déontologie professionnelle » ; que Mme Y… et la société Eurochallenges France sont particulièrement mal fondées à contester la réalité des éléments matériel et intentionnel de l’infraction reprochée ; qu’en conséquence, le jugement entrepris devra également être confirmé en ce qui concerne la culpabilité de ce chef ; que, sur les pratiques commerciales réputées trompeuses ayant pour objet l’utilisation du contenu rédactionnel du Nouvel Observateur, les fonctionnaires chargés du contrôle ont démontré par leurs investigations auprès du président du directoire du journal le Nouvel Observateur et leurs constatations contre lesquelles aucune preuve contraire n’est faite que la société Eurochallenges France avait fait apparaître sur son site internet et sur des supports papier un article comme émanant de journalistes du Nouvel Observateur alors qu’il s’agissait d’un encart jeté sous forme de « Publi-information » inséré dans le numéro 2278 du 3 juillet 2008, du Nouvel Observateur entièrement réalisé par Cap Média Communication exclusivement financé par la société Eurochallenges ; qu’en conséquence, la culpabilité de ce chef doit encore être confirmée ;

«  1°) alors que seule l’omission d’une information sur l’existence d’un droit de rétractation prévu par la loi dans une communication commerciale constituant une invitation à l’achat est susceptible de constituer une pratique commerciale trompeuse ; qu’un contrat d’adhésion ne constitue pas une telle communication commerciale constituant une invitation à l’achat ; qu’en considérant que Mme Y… et la société Eurochallenges France se seraient rendues coupables d’une pratique commerciale trompeuse en omettant d’indiquer l’existence d’un droit de rétractation dans les contrats d’adhésion conclus avec les clients, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

«  2°) alors que l’information sur l’existence et les modalités d’exercice du droit de rétractation dont bénéficient les cocontractants d’une agence de courtage matrimonial n’est soumise à aucune condition formelle, de sorte qu’elle n’a pas nécessairement à être fournie par écrit dans les contrats conclus avec ces cocontractants ; qu’en considérant que Mme Y… et la société Eurochallenges France se seraient rendues coupables d’une pratique commerciale trompeuse en omettant d’indiquer l’existence d’un droit de rétractation dans les contrats d’adhésion conclus avec les clients, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

«  3°) alors qu’une pratique commerciale n’est trompeuse que lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur les caractéristiques essentielles du bien vendu ou du service fourni ; qu’en jugeant que Mme Y… et la société Eurochallenges France se seraient rendues coupables d’une pratique commerciale trompeuse en présentant comme des photographies de témoins des images de personnes autres que ces témoins, quand ces clichés, qui ne constituaient qu’une simple illustration de témoignages dont l’authenticité n’a jamais été contestée, n’avaient aucunement trait aux caractéristiques essentielles du service de courtage matrimonial fourni, la cour d’appel a encore violé les textes susvisés ;

«  4°) alors qu’une pratique commerciale n’est trompeuse que lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur les caractéristiques essentielles du bien vendu ou du service fourni ; qu’en jugeant que Mme Y… et la société Eurochallenges France se seraient rendues coupables d’une pratique commerciale trompeuse en alléguant l’existence de dizaines de témoignages par jour, quand une telle mention ne portait aucunement sur les caractéristiques essentielles du service de courtage matrimonial fourni, la cour d’appel a derechef violé les textes susvisés ;

«  5°) alors que ne sont réputées trompeuses que les pratiques commerciales qui ont pour objet d’affirmer qu’un service a été agréé, approuvé ou autorisé par un organisme public ou privé alors que tel n’est pas le cas ; qu’en affirmant que Mme Y… et la société Eurochallenges France se seraient rendues coupables d’une pratique commerciale trompeuse en mentionnant que le Centre National de Recherche en Relations Humaines était un organisme de référence veillant au respect de la déontologie et dont Eurochallenges était membre, quand il ne résultait aucunement de telles mentions que le service fourni par la société Eurochallenges France aurait été agréé, approuvé ou autorisé par un organisme public, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’à la suite d’un procès-verbal de constat dressé par la direction départementale de la protection des populations du Rhône, la société Eurochallenges France ayant pour activité le courtage matrimonial, ainsi que sa gérante Mme Y…, ont été poursuivies devant le tribunal correctionnel pour pratiques commerciales trompeuses ; que les premiers juges les ont déclarées coupables, les ont condamnées chacune à une amende et à payer à M. Z…, partie civile, une certaine somme à titre de dommages-intérêts ; que les prévenues ainsi que le ministère public ont relevé appel de cette décision ;

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches :

Attendu que, pour déclarer les prévenues coupables de pratiques commerciales trompeuses par omission de l’information substantielle relative au droit de rétractation, l’arrêt attaqué retient par motifs propres et adoptés qu’en l’absence d’indication de prix dans les communications publicitaires, la première et seule invitation à l’achat était la communication faite lors de l’entretien au cours duquel le contrat était signé ; que les juges ajoutent que les prévenues ne rapportent pas la preuve de la délivrance d’une information claire et précise permettant au consommateur de réfléchir sereinement, après la signature d’un contrat à l’agence, à l’exercice éventuel de son droit de rétractation et qu’en revanche, il est démontré qu’aucun adhérent ne disposait sur ce point d’une information écrite donc intelligible et non ambiguë au sens du texte d’incrimination ; qu’ils en déduisent qu’eu égard aux circonstances entourant la signature du contrat d’adhésion, la société poursuivie et sa représentante ont commis le délit reproché en toute connaissance de cause ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, d’où il résulte que l’information relative au droit de rétractation prévu en matière de contrat de courtage matrimonial n’avait pas été fournie, de façon intelligible, sans ambiguïté ni contretemps, dans le contrat lui-même ou de toute autre manière, la cour d’appel a justifié sa décision ;

Qu’en effet, il se déduit de l’article L. 121-1, II, du code de la consommation, en suite des articles 2, 3 et 7 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, que sont considérées comme substantielles les informations relatives notamment à l’exercice d’un droit de rétractation prévu par la loi, dans toute communication commerciale constituant une invitation à l’achat, que celle-ci soit antérieure ou concomitante à la transaction commerciale ;

D’où il suit que les griefs ne sont pas encourus ;

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches :

Attendu que, pour déclarer les prévenues coupables de pratiques commerciales trompeuses en raison d’allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine du caractère trompeur de la pratique commerciale, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que les griefs ne sont pas davantage encourus ;

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche :

Attendu que, pour déclarer les prévenues coupables de pratiques commerciales trompeuses en raison d’affirmations mensongères relatives à l’agrément, à l’approbation ou à l’autorisation par un organisme public, l’arrêt énonce par motifs propres que les intéressées ont désigné le Centre National de Recherche en Relations Humaines à plusieurs reprises, en mentionnant qu’il était un organisme chargé d’une mission de contrôle de l’exercice de la profession ; que les juges retiennent, par motifs adoptés, que les deux mots « centre national » juxtaposés laissaient clairement penser qu’il s’agissait d’un organisme public ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, et dès lors que le centre susmentionné était interne à la société prévenue et que, selon l’article L. 121-1-1, 4°, du code la consommation, sont réputées trompeuses les pratiques commerciales qui ont pour objet d’affirmer qu’un professionnel, y compris à travers ses pratiques commerciales, ou qu’un produit ou service a été agréé, approuvé ou autorisé par un organisme public ou privé alors que ce n’est pas le cas, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme,

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize janvier deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre."

Quand la Cour de cassation explique ses décisions

Par deux arrêts qui ont été rendus respectivement le 22 mars et le 6 avril 1996, la Cour de cassation utilise de façon novatrice une motivation explicative et pédagogique.

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Voici les deux arrêts en question :

Premier arrêt, du 22 mars 1996

"Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 21 janvier 2014), que

MM. X…, Y… et Z…, qui sont les associés fondateurs de la société Tleta devenue la société Atir rail (la société), ont souhaité obtenir la participation de M. A… à leur projet de développement de la société ; que le 14 février 2003, ils ont conclu avec M. A… un « accord-cadre », aux termes duquel MM. X…, Z… et Y… s’engageaient chacun à céder à celui-ci 5 % du capital de la société « pour le prix forfaitaire et symbolique de 500 euros », cependant qu'« en contrepartie de la cession au prix d’acquisition symbolique précité », M. A… s’engageait à « mettre au service de la société en qualité de directeur commercial sa connaissance du marché ainsi que son industrie, pendant une durée minimum de cinq années » ; que le 5 mars 2003, trois actes de cession de parts sociales ont été signés conformément à l’accord-cadre ; que le 31 mars 2003, la société a engagé M. A… en qualité de directeur commercial ; que par acte du 17 mars 2010, MM. X…, Y… et Z… ont assigné ce dernier, à titre principal, en nullité des cessions de parts pour indétermination du prix, à défaut, pour vileté du prix et, à titre subsidiaire, en résolution des cessions du fait de sa défaillance dans l’exécution de ses obligations ; que M. A… a soulevé la prescription de l’action en nullité et, reconventionnellement, a réclamé le paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Attendu que MM. X…, Y… et Z… font grief à l’arrêt de dire prescrite l’action en nullité des actes de cession de parts alors, selon le moyen, que la vente consentie sans prix ou sans prix sérieux est affectée d’une nullité qui, étant fondée sur l’absence d’un élément essentiel du contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription de droit commun qui était, à l’époque de l’acte litigieux, trentenaire ; que pour déclarer l’action en nullité pour indétermination du prix prescrite, la cour d’appel a retenu que l’action pour indétermination du prix constituait une action en nullité relative visant à la protection des intérêts privés du cocontractant et se prescrivant par cinq ans ; que ce faisant, elle a violé l’article 1591 et l’article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce ;

Attendu que la Cour de cassation jugeait depuis longtemps que la vente consentie à vil prix était nulle de nullité absolue (1re Civ., 24 mars 1993, n° 90-21.462) ; que la solution était affirmée en ces termes par la chambre commerciale, financière et économique : « la vente consentie sans prix sérieux est affectée d’une nullité qui, étant fondée sur l’absence d’un élément essentiel de ce contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire de droit commun » (Com., 23 octobre 2007, n° 06-13.979, Bull. n° 226) ;

Attendu que cette solution a toutefois été abandonnée par la troisième chambre civile de cette Cour, qui a récemment jugé « qu’un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire ou vil est nul pour absence de cause et que cette nullité, fondée sur l’intérêt privé du vendeur, est une nullité relative soumise au délai de prescription de cinq ans » (3e Civ., 24 octobre 2012, n° 11-21.980) ; que pour sa part, la première chambre civile énonce que la nullité d’un contrat pour défaut de cause, protectrice du seul intérêt particulier de l’un des cocontractants, est une nullité relative (1re Civ., 29 septembre 2004, n° 03-10.766, Bull. n° 216) ;

Attendu qu’il y a lieu d’adopter la même position ; qu’en effet, c’est non pas en fonction de l’existence ou de l’absence d’un élément essentiel du contrat au jour de sa formation, mais au regard de la nature de l’intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu’il convient de déterminer le régime de nullité applicable ;

Attendu qu’en l’espèce, l’action en nullité des cessions de parts conclues pour un prix indéterminé ou vil ne tendait qu’à la protection des intérêts privés des cédants ;

Attendu que c’est donc à bon droit que la cour d’appel a retenu que cette action, qui relève du régime des actions en nullité relative, se prescrit par cinq ans par application de l’article 1304 du code civil ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen de ce pourvoi :

Attendu que MM. X…, Y… et Z… font grief à l’arrêt de rejeter leur demande de nullité des actes de cession de parts alors, selon le moyen :

1°/ que le prix de la vente doit être déterminé ou déterminable ; que le prix de vente n’est pas déterminable lorsqu’il est fonction d’éléments dépendant de la volonté unilatérale de l’une des parties ; que pour retenir que le prix n’était pas soumis à la volonté de M. A…, la cour d’appel a relevé que la partie du prix constituée par son activité pour le compte de la société Atir rail était encadrée par un contrat de travail ; que l’exécution du contrat de travail étant rémunérée par un salaire, elle ne pouvait constituer le prix de la cession des parts sociales, qui ne pouvait consister qu’en une contribution au développement de la société allant au-delà de la seule exécution de ses fonctions de directeur commercial ; que le prix prévu sous la forme de cette contribution dépendait de M. A… et était donc indéterminé ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1591 du code civil ;

2°/ que pour dire que le prix n’était pas vil, la cour d’appel a énoncé que la société Atir rail s’était développée en termes de chiffre d’affaires et de résultat ; qu’en ne recherchant pas si ce développement pouvait être imputé à l’activité de M. A… et constituer ainsi le complément de prix prévu, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1591 du code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel ayant déclaré la demande de nullité prescrite sans la rejeter, le moyen, qui n’attaque pas un chef du dispositif de l’arrêt, est irrecevable ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que M. A… fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts alors, selon le moyen, que les juges doivent motiver leur décision ; qu’en se bornant à affirmer que le droit à investissements de M. A… résultait de l’accord-cadre du 14 février 2003, « lequel a été valablement résilié le 2 décembre 2009 », sans répondre aux conclusions de M. A… qui faisait valoir que la résiliation unilatérale et sans préavis du droit à investissements prévu par cet accord-cadre se heurtait à la force obligatoire du contrat, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu’après avoir constaté que M. A… soutenait que sa qualité d’actionnaire lui donnait le droit de participer aux investissements de la société, la cour d’appel, qui a retenu que ce droit n’était pas lié à sa qualité d’actionnaire mais résultait de l’accord-cadre qui avait été résilié le 2 décembre 2009, a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux dernières branches, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois, principal et incident ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour MM. X…, Y… et Z…

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré prescrite l’action aux fins de nullité de la cession des parts sociales du 5 mars 2003 ;

AUX MOTIFS QU’à l’appui de leur demande en nullité des cessions de parts sociales intervenues le 5 mars 2003 entre MM. X…, Z… et Y… et M. A…, les appelants soutiennent à titre principal que le prix de cession convenu, composé d’une partie symbolique en numéraire (3x500 €) et d’un complément consistant en l’engagement de M. A…, n’était ni déterminé, ni déterminable, et à titre subsidiaire, qu’il est vil au regard de la valeur des parts au jour de la cession (3x20000 € environ) ; qu’ils concluent au rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription de leur action et font valoir à ce titre que la nullité de la vente pour indétermination du prix est une nullité absolue, soumise à la prescription trentenaire et qu’il en est de même de la nullité pour vileté du prix ; que M. A… oppose la prescription de l’action en nullité au visa de l’article 1304 du code civil et l’irrecevabilité des demandes ; que la demande en nullité des contrats de vente conclus pour un prix indéterminé ou vil ne tend qu’à la protection des intérêts privés des cédants ; qu’elle relève dès lors du régime des actions en nullité relative qui se prescrivent par cinq ans par application de l’article 1304 du code civil ; qu’il en résulte que l’action en nullité des actes de cession de parts du 5 mars 2003, introduite le 17 mars 2010, soit plus de cinq ans après la conclusion desdits actes, est irrecevable comme prescrite; que c’est à tort que les appelants soutiennent que la prescription en nullité pour vileté du prix n’aurait commencé à courir qu’à compter de la connaissance qu’ils ont eue, le 26 août 2009, du non respect par M. A… ses engagements ; qu’à supposer que M. A… n’ait pas respecté l’ensemble de ses engagements, cette circonstance n’a pas eu pour effet de rendre le prix de cession dérisoire, dès lors qu’il résulte des pièces produites que l’exécution par M. A… de ses obligations a permis ainsi que l’escomptaient les cédants le développement de la société en termes de chiffre d’affaires et de marge notamment ; que la découverte alléguée du non respect des engagements de M. A… en 2009, à supposer ce non respect établi, n’a pas eu pour effet de reporter le point de départ de la prescription, acquise depuis le 6 mars 2008 ; qu’en outre, l’examen des griefs et des pièces produites ne permet nullement de retenir que les cédants n’auraient eu connaissance du non respect par M. A… de ses engagement que le 26 août 2009,

1) ALORS QUE la vente consentie sans prix ou sans prix sérieux est affectée d’une nullité qui, étant fondée sur l’absence d’un élément essentiel du contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription de droit commun qui était, à l’époque de l’acte litigieux, trentenaire ; que pour déclarer l’action en nullité pour indétermination du prix prescrite, la cour d’appel a retenu que l’action pour indétermination du prix constituait une action en nullité relative visant à la protection des intérêts privés du cocontractant et se prescrivant par 5 ans ; que ce faisant, elle a violé l’article 1591 et l’article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce ;

2) ALORS QUE les actions personnelles ne se prescrivent qu’à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits lui permettant de l’exercer ; que pour refuser le report du point de départ du délai de prescription à la date du 26 août 2009, la cour d’appel a retenu que « l’exécution par Monsieur A… de ses obligations a permis ainsi que l’escomptaient les cédants, le développement de la société »; qu’en se déterminant par des motifs relatif au bien-fondé de la demande, inopérants s’agissant de sa recevabilité, la cour d’appel, qui n’a pas recherché la date à laquelle Messieurs X…, Z… et Y… avaient eu connaissance de la cause de nullité qu’ils invoquaient, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1591 et de l’article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce ;

3) ALORS QUE les actions personnelles ne se prescrivent qu’à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits lui permettant de l’exercer ; qu’en retenant, pour refuser le report du point de départ de la prescription au 26 août 2009, date à laquelle les exposants avaient eu connaissance de la cause de nullité qu’ils invoquaient, que la prescription était acquise depuis le 6 mars 2008, quand cette prescription n’ayant pu, en cas de report de son point de départ, commencer à courir, ne pouvait être acquise, la cour d’appel a violé l’article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande de nullité de la cession de parts sociales du 5 mars 2003,

AUX MOTIFS QU’il sera relevé, de manière surabondante, que les cessions litigieuses ont été conclues pour un prix en numéraire de 500 euros, M. A… s’engageant en outre à mettre ses compétences au service de la société pendant une durée de 5 ans minimum, et ce dans le cadre d’un contrat de travail qui a été signé concomitamment; qu’il ne peut dès lors être utilement soutenu que le prix convenu aurait été indéterminable, « objectivement » ou comme dépendant de la seule volonté de M. A…, alors que l’activité de celui-ci était encadrée par un contrat de travail et que les vendeurs connaissaient parfaitement la valeur de la collaboration de M. A… pour le développement de leur projet ; qu’il ne peut davantage être retenu que le prix de cession aurait été vil, alors que le faible prix versé en numéraire s’expliquait par le développement de la société Atir rail qu’escomptaient MM. X…, Z… et Y… en associant M. A… à leur projet plutôt qu’en le laissant prendre la direction, qui lui était proposée, d’une société concurrente, développement qui s’est au demeurant effectivement réalisé, comme en témoigne la forte augmentation du chiffre d’affaires et de la marge réalisés par la société Atir rail sur la période 2003-2008 ; que la thèse de la viIeté du prix tirée de « l’absence du complément de prix convenu en raison de la gravité des agissements de M. A… ayant eu pour effet de rendre le prix vil » n’est, en tout état de cause, pas susceptible de prospérer dès lors que les agissements reprochés à M. A… et qui fondent la demande examinée plus loin en résolution des cessions ne sont, pour l’essentiel, pas établis ainsi qu’il sera vu ci-après,

1) ALORS QUE le prix de la vente doit être déterminé ou déterminable ; que le prix de vente n’est pas déterminable lorsqu’il est fonction d’éléments dépendant de la volonté unilatérale de l’une des parties ; que pour retenir que le prix n’était pas soumis à la volonté de Monsieur A…, la cour d’appel a relevé que la partie du prix constituée par son activité pour le compte de la société ATIR RAIL était encadrée par un contrat de travail ; que l’exécution du contrat de travail étant rémunérée par un salaire, elle ne pouvait constituer le prix de la cession des parts sociales, qui ne pouvait consister qu’en une contribution au développement de la société allant au-delà de la seule exécution de ses fonctions de directeur commercial ; que le prix prévu sous la forme de cette contribution dépendait de Monsieur A… et était donc indéterminé ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1591 du code civil ;

2) ALORS QUE pour dire que le prix n’était pas vil, la cour d’appel a énoncé que la société ATIR RAIL s’était développée en termes de chiffre d’affaires et de résultat ; qu’en ne recherchant pas si ce développement pouvait être imputé à l’activité de Monsieur A… et constituer ainsi le complément de prix prévu, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1591 du code civil.Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour M. A…

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt d’AVOIR rejeté la demande reconventionnelle de Monsieur A… relative aux sommes dues au titre de l’exécution de l’accord cadre

AUX MOTIFS QUE Monsieur A… soutient que sa qualité d’actionnaire lui donnait le droit de participer à hauteur de 15 % à l’acquisition des wagons investis par ATIR RAIL et demande réparation du préjudice qu’il évalue à la somme de 82.969,60 euros ; mais que cette demande ne peut prospérer dès lors que le droit à investissements sur lequel Monsieur A… fonde sa demande n’était pas lié à sa qualité d’actionnaire mais résultait de l’accord cadre du 14 février 2013 (lire 2003) lequel a été valablement résilié le 2 décembre 2009 ;


ALORS QUE les juges doivent motiver leur décision ; qu’en se bornant à affirmer que le droit à investissements de Monsieur A… résultait de l’accord cadre du 14 février 2003, « lequel a été valablement résilié le 2 décembre 2009 », sans répondre aux conclusions de Monsieur A… qui faisait valoir que la résiliation unilatérale et sans préavis du droit à investissement prévu par cet accord cadre se heurtait au principe de la force obligatoire du contrat, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile."



Deuxième arrêt, du 6 avril 1996 :

"Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la commune d’Ajaccio a confié à la société X… et fils (la société), par une délégation de service public, la construction et l’exploitation d’un crématorium situé au lieudit du Vazzio ; que, soutenant que le tract diffusé par un collectif dénommé « Collectif contre le crématorium au Vazzio » (le collectif), ainsi que la pétition que celui-ci avait mise en ligne sur Internet, contenaient des propos diffamatoires à leur égard, la société, MM. Y… et Marc-Xavier X… et Mmes Françoise, Valérie et Elodie X… (les consorts X…) ont assigné les membres de ce collectif et la société Groupe Nextone Media Limited, hébergeur du site en cause, aux fins d’obtenir réparation de leur préjudice ;

Sur le moyen tiré de la nullité de l’assignation, relevé d’office, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :

Vu l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Attendu qu’en vertu de ce texte, l’assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé, et indiquer le texte de loi applicable ;

Attendu que, selon une jurisprudence constante, la chambre criminelle de la Cour de cassation décide qu’elle a le devoir de vérifier, d’office, si la citation délivrée est conforme au texte susvisé et, notamment, qu’elle mentionne le texte qui édicte la peine sanctionnant l’infraction poursuivie ; que la première chambre civile de la Cour de cassation a cependant jugé que la seule omission, dans l’assignation, de la mention de la sanction pénale encourue, que la juridiction civile ne peut prononcer, n’était pas de nature à en affecter la validité (1re Civ., 24 septembre 2009, pourvoi n° 08-17. 315, Bull. n° 180) ; que, toutefois, par arrêt du 15 décembre 2013 (pourvoi n° 11-14. 637, Bull. n° 1), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, saisie de la question de la validité d’une assignation retenant pour le même fait la double qualification d’injure et de diffamation, a affirmé que l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 devait recevoir application devant la juridiction civile ; que cette décision, qui consacre l’unicité du procès de presse, conduit à une modification de la jurisprudence précitée, justifiée par la nécessité d’unifier les règles relatives au contenu de l’assignation en matière d’infractions de presse, que l’action soit engagée devant la juridiction civile ou la juridiction pénale ;

Attendu qu’en l’espèce, les assignations délivrées à la requête de la société et des consorts X… visent l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, mais non l’article 32 de la même loi ; que, dès lors, à défaut de mention du texte édictant la peine applicable aux faits de diffamation allégués, ces assignations encourent la nullité ;

Attendu, cependant, que, si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, la mise en oeuvre de ce principe peut affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action, de sorte que le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu’il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s’il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste ; que les assignations en cause, dont les énonciations étaient conformes à la jurisprudence de la première chambre civile, ont été délivrées à une date à laquelle la société et les consorts X… ne pouvaient ni connaître ni prévoir l’obligation nouvelle de mentionner le texte édictant la peine encourue ; que, dès lors, l’application immédiate, à l’occasion d’un revirement de jurisprudence, de cette règle de procédure dans l’instance en cours aboutirait à priver ces derniers d’un procès équitable, au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en leur interdisant l’accès au juge ; qu’il n’y a donc pas lieu d’annuler les assignations ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 4 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter les demandes formées par la société et les consorts X…, l’arrêt énonce que, selon leurs conclusions, les faits de diffamation dénoncés tiendraient au projet de création d’une usine à brûler des corps humains, générant une pollution aussi dangereuse que des déchets nucléaires, dans un site habité, contrairement à l’usage répandu sur le territoire national ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la société et les consorts X… incriminaient également l’emploi, dans le texte de la pétition, des termes « usine équipée de fours crématoires » et soutenaient que ces termes faisaient référence aux fours crématoires des camps d’extermination nazis, la cour d’appel a méconnu l’objet du litige et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes de la société X… et fils, de MM. Y… et Marc-Xavier X… et de Mmes Françoise, Valérie et Elodie X…, l’arrêt rendu le 12 novembre 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Bastia ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;

Condamne les défendeurs au pourvoi aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour les consorts X… et la société X… et fils.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que l’action en diffamation n’était pas fondée et d’avoir débouté la SAS X… et Fils, M. Y…

X…, Mme Françoise X…, Mme Valérie X…, M. Marc Xavier X… et Mme Elodie X… de leurs demandes ;

AUX MOTIFS QUE dans leurs dernières conclusions déposées le 5 mai 2014 auxquelles il convient de se référer pour un exposé complet de ses prétentions et parties, les appelants exposent que la famille X… a développé depuis 1972 une entreprise de pompes funèbres exercée sous forme de SARL à compter de 1995 puis de SAS en 2005, laquelle a bénéficié de la ville d’Ajaccio d’une délégation de service public du 14 décembre 2011 ayant pour objet la construction et l’exploitation d’un crématorium sur la commune d’Ajaccio ; qu’un arrêté de permis de construire a été accordé le 5 juillet 2012 ; qu’ils expliquent que le 27 juillet 2012 a été mis en ligne une pétition émanant d’un « collectif contre le crématorium au Vazzio » et qu’un tract a également été distribué sur la commune d’Ajaccio qu’ils estiment être diffamatoires à leur égard en application de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ; que pour répondre à l’argumentation des intimés, ils réfutent la nullité de l’assignation au regard des prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 et la prescription trimestrielle retenue par le premier juge ; que sur le fond, les appelants soutiennent que les faits de diffamation ressortent des écrits tant sur le tract que sur la pétition en ligne sur Internet contre la réalisation d’un crématorium au Vazzio ; qu’ils soutiennent que la famille X… est parfaitement identifiable et qu’il est spécifiquement précisé que va être créée une usine à brûler des corps humains, générant une pollution aussi dangereuse que des déchets nucléaires, dans un site habité contrairement à l’usage répandu sur le territoire national et dans les conditions de la vidéo en ligne telles que décrites par Me Marie-Pierre F., huissier de justice, le 17 septembre 2012 ; que l’ensemble de ces faits est constitutif d’une atteinte à l’honneur et à la considération de la SAS X…& Fils qui si elle n’est pas explicitement nommée, est parfaitement identifiable au regard à la fois de l’ensemble des articles de presse relatifs à la création du crématorium, à la publicité légale et réglementaire de l’ensemble des actes administratifs liés à cette construction, que ce soit la délégation de service public, l’enquête publique, l’arrêté de permis de construire ou la tenue du Conseil Départemental de l’Environnement des Risques Sanitaires et Technologique ou encore l’arrêté préfectoral d’autorisation de création du crématorium ; (…) qu’il convient de constater que les intimés ne contestent pas être les auteurs du tract et de la pétition en ligne renvoyant à un site Web sur l’incinération ; (…) que, sur le fond, le tract et la pétition ont fait l’objet d’un constat d’huissier auquel il conviendra de se reporter pour en connaître le contenu dans le détail d’ailleurs repris dans les conclusions des appelants en leur entier ; qu’il convient de noter que ni le tract ni la pétition ne cite la SAS X…& Fils ni aucun des membres de la famille X… et qu’elles ne mettent en cause que la création d’un crématorium sur un site que les auteurs jugent inopportun ; que le tract aussi bien que la pétition ont pour but de s’opposer à la création d’un crématorium dans un lieu non isolé ; qu’il appartient aux parties poursuivantes de préciser les passages de l’article qu’elles estiment diffamatoires au regard des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ; que si l’on s’en tient aux conclusions ci-dessus rappelées, les faits de diffamation dénoncés tiendraient aux faits que va être créée une usine à brûler des corps humains, générant une pollution aussi dangereuse que des déchets nucléaires, dans un site habité contrairement à l’usage répandu sur le territoire national et dans les conditions de la vidéo en ligne ; que les auteurs du tract et de la pétition critiquent la création d’un crématorium, dont, pour eux, l’activité est nocive, critiquent également l’absence de concertation avec les riverains lors des décisions administratives prises en vue de cette création, mais ne mettent nullement en cause l’honneur et la considération tant de la SAS susnommée que les membres de la famille X… ; qu’en conséquence, l’action n’est pas fondée et les appelants seront déboutés de leurs demandes ;

1°) ALORS QUE s’il n’expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l’indication de leur date ; que l’arrêt qui vise des conclusions (du 5 mai 2014) antérieures aux dernières déposées (le 21 juillet 2014) et n’expose, ni ne rappelle dans la motivation, que les exposants faisaient valoir que la diffamation était notamment constituée l’allégation de ce que les exposants allaient mettre en oeuvre des procédés assimilables aux fours crématoires des camps d’extermination nazis et maltraitant les dépouilles des défunts, viole les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;

Subsidiairement

2°) ALORS QU’en retenant qu’à s’en tenir aux conclusions des exposants, les faits de diffamation dénoncés tiendraient aux faits que va être créée une usine à brûler des corps humains, générant une pollution aussi dangereuse que des déchets nucléaires, dans un site habité contrairement à l’usage répandu sur le territoire national et dans les conditions de la vidéo en ligne, quand les exposés avaient fait valoir que la diffamation était également constituée par l’allégation de ce que les exposants allaient mettre en oeuvre des procédés assimilables aux fours crématoires des camps d’extermination nazis et maltraitant les dépouilles des défunts, la cour d’appel a méconnu les prétentions des exposants en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QU’en retenant que les auteurs du tract et de la pétition critiquaient la création d’un crématorium, dont, pour eux, l’activité était nocive, critiquaient également l’absence de concertation avec les riverains lors des décisions administratives prises en vue de cette création, mais ne mettaient nullement en cause l’honneur et la considération tant de la SAS susnommée que les membres de la famille X…, sans répondre au moyen pris de ce que les intéressés imputaient aux exposants le projet de mettre en oeuvre des procédés assimilables aux fours crématoires des camps d’extermination nazis, et maltraitant les dépouilles des défunts, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QU’en se fondant, pour écarter la diffamation, sur le fait que ni le tract ni la pétition ne citaient la SAS X…& Fils ni aucun des membres de la famille X…, sans rechercher si, ainsi que le faisaient valoir les exposants, ils n’étaient pas parfaitement identifiables au regard de l’ensemble des articles de presse relatifs à la création du crématorium, à la publicité légale et réglementaire de l’ensemble des actes administratifs liés à cette construction et compte tenu de ce que seules la famille X… et la SAS X…& Fils exercent une activité de funérarium dans la zone industrielle du Vazzio, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

5°) ALORS QUE porte atteinte à l’honneur et à la considération l’allégation mensongère de ce que l’activité d’une entreprise génère une pollution dangereuse pour la santé des vivants, entraînant le rejet de métaux lourds, de mercure et de dioxine cancérigènes et produisant des déchets assimilables aux déchets nucléaires ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

6°) ALORS QU’en retenant que les auteurs du tract et de la pétition critiquaient la création d’un crématorium, dont, pour eux, l’activité était nocive ainsi que l’absence de concertation avec les riverains lors des décisions administratives prises en vue de cette création, mais ne mettaient pas en cause l’honneur et la considération tant de la SAS susnommée que les membres de la famille X…, sans rechercher si, ainsi que le soutenaient les exposants, cette mise en cause n’était pas constituée par l’affirmation que l’activité de crémation de l’exposante était réalisée dans des conditions n’assurant pas le respect dû à la dépouille des défunts, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881."


Seul celui qui revendique la propriété d'une parcelle peut invoquer la prescription acquisitive

Seul celui qui revendique la propriété d'une parcelle peut invoquer la prescription acquisitive

C'est ce que juge cet arrêt :



"Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 16 avril 2014), que M. et Mme X… sont propriétaires d’un immeuble situé en contrebas d’une falaise dont des rochers se sont éboulés sur leur fonds au cours des intempéries de décembre 1999 ; qu’un arrêté municipal a interdit l’accès du jardin jusqu’à la réalisation de travaux de sécurisation ; qu’après expertises, M. et Mme X… ont assigné en indemnisation l’Association immobilière du Poitou, propriétaire du fonds situé en recul des rochers, puis les auteurs de leurs vendeurs et leurs ayants droit, les consorts Y… ;

Attendu que ceux-ci font grief à l’arrêt de les condamner à payer à M. et Mme X… des dommages-intérêts au titre des travaux nécessaires à la consolidation de la falaise et au titre de la privation de jouissance alors, selon le moyen :

1°/ que les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer, encore que le débiteur ou le propriétaire y renonce ; qu’en décidant, au contraire, que seul celui qui entend être considéré comme le propriétaire d’une parcelle peut invoquer la prescription acquisitive à son profit, la cour d’appel a violé l’article 2225 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, applicable à la cause ;

2°/ qu’en opposant aux consorts Y… la chose jugée par l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 3 décembre 2008 rendu dans une instance entre M. et Mme X… et l’Association immobilière du Poitou, à laquelle ils n’étaient pas parties, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil ;

3°/ que les particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent, et notamment le droit de les abandonner ; qu’en déniant aux consorts Y… le droit d’abandonner leur droit de propriété sur les rochers litigieux, la cour d’appel a violé l’article 537 du code civil ;

4°/ que les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés ; que par délibération du conseil municipal, la commune peut renoncer à exercer ses droits, sur tout ou partie de son territoire, au profit de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est membre ; que les biens sans maître sont alors réputés appartenir à l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ; que, toutefois, la propriété est transférée de plein droit à l’État si la commune renonce à exercer ses droits en l’absence de délibération telle que définie au premier alinéa ou si l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre renonce à exercer ses droits ; qu’en retenant que la seule hypothèse dans laquelle la loi permet que le bien d’un propriétaire connu soit dévolu à l’État, est celle dans laquelle, soit le propriétaire identifié est décédé sans héritiers, soit est décédé avec des héritiers ayant renoncé à la succession, la cour d’appel a violé les article 539 et 713 du code civil ;

5°/ qu’en retenant, pour écarter l’abandon de propriété invoqué par les consorts Y…, que la seule hypothèse dans laquelle la loi permet que le bien d’un propriétaire connu soit dévolu à l’État, est celle dans laquelle, soit le propriétaire identifié est décédé sans héritiers, soit est décédé avec des héritiers ayant renoncé à la succession, la cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant, et a violé les article 537 et 539 du code civil ;

6°/ qu’en se bornant à relever que, si c’est dans un contexte de tempête qu’est intervenu l’éboulement, celui-ci trouve sa cause profonde dans le défaut d’entretien permettant de consolider les lieux au fil du temps afin d’en assurer la stabilité et l’équilibre, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, quand bien même les lieux auraient été entretenus, la violence de la tempête de 1999 n’était pas telle que l’éboulement n’aurait pu être évité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

Mais attendu, d’une part, que, les consorts Y… ne s’étant prévalus d’aucun acte manifestant sans équivoque leur volonté de renoncer à leur droit de propriété et n’ayant pas invoqué les conditions dans lesquelles la falaise aurait pu, dans ce cas, devenir sans maître, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit, et partant irrecevable ;

Attendu, d’autre part, qu’ayant exactement retenu que seul celui qui revendique la propriété d’une parcelle peut invoquer la prescription acquisitive à son profit et relevé que, si l’éboulement était intervenu à la suite d’une tempête, il trouvait sa cause dans le défaut d’entretien permettant de consolider les lieux au fil du temps afin d’en assurer la stabilité et l’équilibre, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, qui n’a pas dénié aux consorts Y… le droit d’abandonner leur droit de propriété sur la falaise et ne leur a pas opposé l’autorité de la chose jugée attachée à une décision à laquelle ils n’étaient pas partie et qui a en a déduit à bon droit qu’ils étaient tenus à réparation, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les consorts Y… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne les consorts Y… à payer la somme de 3 000 euros à l’Association immobilière du Poitou et celle de 3 000 euros à M. et Mme X…; rejette la demande des consorts Y… ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq novembre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour les consorts Y….

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné les consorts Y… à payer aux époux X… des dommages-intérêts au titre des travaux nécessaires à la consolidation de la falaise et au titre de la privation de jouissance ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Les époux X… sont propriétaires d’une maison d’habitation avec jardin située … à Poitiers. Cet ensemble immobilier est contigu, côté ouest, à des rochers surplombant la vallée. Suite aux graves intempéries de fin décembre 1999, les époux X… ont eu à déplorer des éboulements de rochers dans leur cour et jardin. Ils ont fait assigner en réparation leur voisin immédiat à l’ouest, à savoir l’Association Immobilière du Poitou. Une expertise ayant eu pour objet notamment d’identifier le propriétaire de la falaise et donc des rochers à l’origine du dommage a conclu que ces rochers n’ont jamais fait l’objet de quelque cession que ce soit et sont demeurés la propriété des auteurs communs des parties à savoir les consorts Y…. Par jugement du tribunal de grande instance de Poitiers en date du 8 janvier 2007, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Poitiers en date du 3 décembre 2008, la responsabilité de l’Association Immobilière du Poitou a été rejetée en ce qu’elle ne saurait être considérée comme propriétaire de la falaise surplombant le fonds des époux X…(…) Sur la propriété de la falaise : les parcelles de terrain appartenant aujourd’hui aux époux X… et à l’Association Immobilière du Poitou proviennent de la division d’une propriété appartenant aux consorts Y… ; le 22 mai 1956, les consorts Y… ont vendu à l’Association Immobilière du Poitou un ensemble immobilier en partie clos de murs. Cet ensemble immobilier, et en particulier les murs d’enceinte, se situent en haut de la falaise. Le 2 mai 1962, les consorts Y… ont vendu aux époux A… les parcelles alors cadastrées section B n° 584 et 585 situées en contrebas de la falaise. Par acte notarié du 16 août 1972, les époux A… ont revendu ces deux parcelles désormais cadastrées section AV n° 11 aux époux X…. L’acte mentionne que la propriété vendue est limitée à l’ouest par des rochers qui sont la propriété de l’Association Immobilière du Poitou, que dans ces rochers sont creusées des grottes dans lesquelles les acquéreurs n’auront pas le droit de pénétrer. Cet acte n’est nullement opposable à l’association. La confrontation des titres de propriété respectifs des époux X… d’une part, et de l’Association Immobilière du Poitou d’autre part, permet de constater qu’il existe un espace constitué de rochers situé entre les murs de l’association, au sommet de la falaise, et le terrain des époux X… en contrebas, espace qui n’a fait l’objet d’aucune cession. Force est donc de constater, que la falaise litigieuse et les rochers la constituant, sont demeurés la propriété des consorts Y…, comme l’expert B… a pu l’indiquer dans son rapport déposé le 30 novembre 2005. Les appelants, pour tenter de ne pas se voir déclarer propriétaires, prétendent d’une part, que la falaise aurait été acquise par usucapion par l’association, d’autre part, qu’ils en auraient abandonné la propriété. S’agissant de l’usucapion, il est constant que seul celui qui entend être considéré comme le propriétaire d’une parcelle, peut invoquer une telle prescription à son profit. Or sur ce point l’Association Immobilière du Poitou ne se positionne nullement comme revendiquant. S’agissant de l’abandon, la seule hypothèse dans laquelle la loi permet que le bien d’un propriétaire connu soit dévolu à l’État, est celle dans laquelle, soit le propriétaire identifié est décédé sans héritiers, soit est décédé avec des héritiers ayant renoncé à la succession. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

(…)

Sur la réparation du préjudice des époux X…:

L’éboulement des rochers de la falaise ayant eu lieu à l’occasion de la tempête qui a sévi à la fin du mois de décembre 1999, les consorts Y… invoquent le cas de force majeure pour échapper à la responsabilité du fait des choses. Si c’est dans un contexte de tempête qu’est intervenu l’éboulement, celui-ci trouve sa cause profonde dans le défaut d’entretien permettant de consolider les lieux au fil du temps aux fins d’en assurer la stabilité et l’équilibre. Certes, les consorts Y… se défendent sur ce point, en faisant valoir qu’ils ne pouvaient entretenir un bien dont ils ignoraient qu’ils en fussent propriétaires. Cet argument ne demeure cependant pas opposable aux propriétaires riverains, victimes des dommages causés par le bien litigieux.

S’agissant des sommes à allouer, c’est de façon justifiée que le premier juge a retenu au titre :

— des travaux nécessaires à la consolidation de la falaise, la somme de 44. 524, 75 euros indexée sur l’indice BT 01 conformément au rapport d’expertise du 10 avril 2001,

— de la privation de jouissance de la cour et du jardin, la somme de 2. 286, 75 euros par an, soit la somme de 20. 800 euros arrêtée au 4 mai 2012.

Le jugement sera donc confirmé. La cour constatera cependant que l’action est éteinte à l’égard de Jeanne Y…, décédée en cours de procédure sans mise en cause de ses ayants-droit. Il y a lieu de faire droit à la demande d’actualisation au titre du préjudice de jouissance et de condamner les consorts Y… au paiement de la somme de 190, 56 euros par mois, de mai 2012, jusqu’à la date du présent arrêt. » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES, QUE : « Le jugement du tribunal de grande instance de Poitiers du 8 janvier 2007 et l’arrêt confirmatif de la cour d’appel du 3 décembre 2008 ont rejeté la responsabilité de l’association Immobilière du Poitou ; les consorts Y… doivent être déboutés de leur appel en garantie à l’encontre de ladite association et celle-ci se verra allouer une indemnité au titre des frais irrépétibles engagés mise à la charge des parties succombantes dans la présente instance ; en vertu de l’article 1384 du code civil, « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des (…) choses que l’on a sous sa garde » ; les dommages causés en l’espèce par la chute des rochers doivent être indemnisés par les propriétaires de cette partie de la falaise ; il résulte de l’examen attentif du rapport d’expertise établi par Monsieur B… déposé le 30 novembre 2005, que les consorts Y… et leurs héritiers sont restés propriétaires de la falaise sise entre la propriété des époux X… et de la propriété de l’association Immobilière du Poitou ; en conséquence, ils doivent être déclarés responsables des dommages subis par les requérants depuis 1999 et condamnés à leur verser une indemnité au titre de leur préjudice de jouissance et au titre des travaux nécessaires à la consolidation de la falaise ; le montant de cette indemnité doit s’apprécier au regard des documents produits ; il résulte des documents pertinents produits à l’appui des demandes que les travaux nécessaires à la consolidation de la falaise ont été évalués par l’expert à la somme de 44. 524, 75 €, indexée sur l’indice BT 01, conformément au rapport d’expertise du 10 avril 2001 ; la privation de jouissance de la cour et du jardin depuis janvier 2000 justifie qu’il soit alloué aux consorts X… une somme de 2. 286, 75 euros par an, soit 20. 800 euros, somme arrêtée au 4 mai 2012 ; date de la demande en justice (conclusions signifiées par le RPVA) » ;

ALORS 1/ QUE les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer, encore que le débiteur ou le propriétaire y renonce ; qu’en décidant, au contraire, que seul celui qui entend être considéré comme le propriétaire d’une parcelle peut invoquer la prescription acquisitive à son profit, la cour d’appel a violé l’article 2225 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, applicable à la cause ;

ALORS 2/ QU’en opposant aux consorts Y… la chose jugée par l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 3 décembre 2008 rendu dans une instance entre les époux X… et l’association Immobilière du Poitou, à laquelle ils n’étaient pas parties, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil.

ALORS SUBSIDIAIREMENT 3/ QUE les particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent, et notamment le droit de les abandonner ; qu’en déniant aux consorts Y… le droit d’abandonner leur droit de propriété sur les rochers litigieux, la cour d’appel a violé l’article 537 du code civil ;

ALORS SUBSIDIAIREMENT 4/ QUE les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés ; que par délibération du conseil municipal, la commune peut renoncer à exercer ses droits, sur tout ou partie de son territoire, au profit de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est membre ; que les biens sans maître sont alors réputés appartenir à l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ; que, toutefois, la propriété est transférée de plein droit à l’État si la commune renonce à exercer ses droits en l’absence de délibération telle que définie au premier alinéa ou si l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre renonce à exercer ses droits ; qu’en retenant que la seule hypothèse dans laquelle la loi permet que le bien d’un propriétaire connu soit dévolu à l’État, est celle dans laquelle, soit le propriétaire identifié est décédé sans héritiers, soit est décédé avec des héritiers ayant renoncé à la succession, la cour d’appel a violé les article 539 et 713 du code civil ;

ALORS SUBSIDIAIREMENT 5/ QU’en retenant, pour écarter l’abandon de propriété invoqué par les consorts Y…, que la seule hypothèse dans laquelle la loi permet que le bien d’un propriétaire connu soit dévolu à l’État, est celle dans laquelle, soit le propriétaire identifié est décédé sans héritiers, soit est décédé avec des héritiers ayant renoncé à la succession, la cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant, et a violé les article 537 et 539 du code civil ;

ALORS TRES SUBSIDIAIREMENT 6/ QU’en se bornant à relever que, si c’est dans un contexte de tempête qu’est intervenu l’éboulement, celui-ci trouve sa cause profonde dans le défaut d’entretien permettant de consolider les lieux au fil du temps afin d’en assurer la stabilité et l’équilibre, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, quand bien même les lieux auraient été entretenus, la violence de la tempête de 1999 n’était pas telle que l’éboulement n’aurait pu être évité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1384 alinéa 1 du code civil."

Le jugement qui condamne un locataire qui utilisait le service Airbnb

Ce jugement peut être consulté ici :


Le tribunal condamne un locataire à indemniser un propriétaire pour la sous-location d’un bien immobilier par le biais d’Airbnb


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samedi 23 avril 2016

Un arrêt sur la théorie du mandat apparent

Un arrêt sur la théorie du mandat apparent



"Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., préposé de la société anonyme Schiever distribution, a signé, pour le compte de celle-ci, un contrat portant sur la location par la société CM-CIC bail d'un broyeur compacteur ; que la société Schiever distribution, faisant valoir que ce contrat avait été signé par une personne qui n'était pas habilitée à la représenter, a refusé de payer les factures correspondant à la location de cette machine ; que la société CM-CIC bail l'a assignée en paiement des loyers échus ainsi que de l'indemnité de résiliation ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1315 du code civil ;

Attendu que pour condamner la société Schiever distribution à payer une certaine somme à la société CM-CIC bail, l'arrêt retient qu'elle prétend, sans en rapporter la preuve, que M. X..., directeur de site, n'aurait pas eu le pouvoir de signer le contrat de location ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombait à la société CM-CIC bail, qui soutenait que la société Schiever distribution était engagée par la signature de M. X..., d'établir la réalité des pouvoirs de celui-ci, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé le texte susvisé ; 

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 1998 du code civil ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt, après avoir constaté que le contrat de location portait, sous la rubrique "le locataire", le timbre humide de la société Schiever distribution ainsi que la signature de M. X... en qualité de directeur, retient que cette société se trouve en toute hypothèse engagée en vertu de la théorie de l'apparence ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser les circonstances autorisant la société CM-CIC bail à ne pas vérifier les limites exactes des pouvoirs de M. X... au sein de la société Schiever distribution, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société CM-CIC bail aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Schiever distribution ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Occhipinti, avocat aux Conseils, pour la société Schiever distribution

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Schiever Distribution à payer à la société CM-CIC Bail la somme de 326.739,70 ¿ outre intérêts ;

AUX MOTIFS QUE qu'il ressort des pièces versées aux débats que par lettre du 24 octobre 2007, la société Econolec a transmis à la société Schiever Distribution Distribution, à l'attention de M. X..., un exemplaire du contrat de valorisation des emballages PSE, daté du 15 octobre 2007 et signé par les parties, M. X... signant pour la société Schiever Distribution Distribution ; dans le préambule, il est exposé que la société Schiever Distribution Distribution souhaitait valoriser ses déchets de polystyrène expansé -dit PSE- en utilisant le process et la filière proposé par Econolec ; son article stipule que Econolec met à disposition un process pour broyer et compacter le PSE , la société Schiever Distribution Distribution étant en charge de l'utilisation du process et du conditionnement du PSE ; qu'aux termes de l'article 5, la société Schiever Distribution Distribution s'engage à faire traiter par Econolec 300 tonnes par an, soit en moyenne tonnes par mois ; que l'article 8 prévoit que le contrat est conclu pour une durée de 5 ans à compter du premier jour du mois de la mise en service du process ; un document intitulé avenant, daté du 1" octobre 2007 et portant les mêmes signatures des parties précise à l'article 3 que "Econolec met à disposition un process type GZV 200 SA pour broyer et compacter le PSE ( gisement de 25 tonnes en moyenne par mois)" ; l'article indique que l'avenant est conclu pour une durée de 6 mois à compter du 1er jour du mois de la mise en service du process et sert de période d'évaluation du gisement réel PSE du site de la société Schiever Distribution Distribution à Avallon et qu'à l'issue de cette période, si le gisement est conforme au contrat, le process GZV 200 SA est remplacé par un process GZV 400 SA et si le gisement est inférieur, Econolec laisse en place un GZV 200 SA, le gisement de référence ne pouvant être inférieur à 180 tonnes par an ; que par lettre du 22 novembre 2007, M. X... a écrit à Econolec qu'il avait rencontré le responsable du port de Boulogne qui valorise 50 tonnes par mois de PSE, lequel lui avait assuré que dans le cas de Schiever Distribution 180 tonnes par an de PSE était un chiffre impossible à atteindre, alors que Econolec lui avait affirmé que 300 tonnes par an était tout à fait possible, et lui a demandé de prendre contact avec lui pour expliquer de tels écarts ; aucun autre document n'est produit sur la suite du contrat, la société Schiever Distribution Distribution déclarant ne plus en avoir entendu parler après cette lettre restée sans réponse ; la fiche entreprise produite par la société Schiever Distribution Distribution porte mention de la liquidation judiciaire d'Econolec depuis le 26 novembre 2008 ; le contrat de location conclu avec la société CM-CIC Bail mentionne en page 2 qu'il est établi à la date du 11 octobre 2007, soit pendant la période des négociations entre les sociétés Econolec et Schiever Distribution ; ce contrat porte, sous la rubrique le locataire, le timbre humide de la société Schiever Distribution Distribution et la signature de M. X... en qualité de directeur, signature semblable à celle apposée sur le contrat du octobre 2007 qui n'est pas contestée ; c'est en vain que la société Schiever Distribution Distribution prétend, sans d'ailleurs en apporter la preuve, que M. X..., directeur de site, n'aurait pas eu le pouvoir de signer un tel contrat ; en toute hypothèse, il engagerait la société en vertu de la théorie de l'apparence ; l'autorisation de prélèvement porte le cachet de la société Schiever Distribution Distribution et la signature de M. X... ; le bon de livraison, qui indique une date limite de livraison au 11 janvier 2008, est daté du 16 octobre 2007 et porte toujours le cachet de la société Schiever Distribution Distribution et la signature de M. X... ; sur ces deux documents, la signature de M. X... est aussi semblable à celle, non contestée, apposée sur le contrat du 15 octobre 2007 ; après vérification, la signature de M. X... ne se révèle pas contrefaite sur les documents relatifs au contrat de location ; d'ailleurs par lettre du 14 avril 2008, en réponse aux relances du bailleur, la société Schiever Distribution Distribution n' opposait qu'un défaut de pouvoir de M. X... et non une imitation de sa signature ; aucun élément ne tend à démontrer que le cachet ou timbre humide de la société Schiever Distribution Distribution et son relevé d'identité bancaire ont été usurpés ; que la société Schiever Distribution Distribution ne peut valablement invoquer un défaut de livraison alors qu'elle a signé le procès-verbal attestant de cette livraison et donnant ordre au bailleur de payer le fournisseur ;

1°) - ALORS QUE la société anonyme est représentée par son président et son directeur général ; qu'en énonçant que M. X..., directeur de site, avait pu l'engager, la cour d'appel a violé L 225-51-1 du code de commerce ;

2°) - ALORS QU'il appartient à celui qui se prévaut d'un acte d'établir sa validité ; qu'en reprochant à la société Schiever Distribution de ne pas prouver l'absence de pouvoir de M. X..., quand la société CM-CIC Bail devait établir la réalité des pouvoirs de celui-ci, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, violant ainsi l'article 1315 du code civil ;

3°) - ALORS QUE le mandat apparent n'est caractérisé que si les tiers ont pu croire aux pouvoirs du prétendu mandataire ; qu'en se bornant à affirmer que la théorie de l'apparence devait jouer, sans montrer en quoi la société CM-CIC Bail pouvait croire aux prétendus pouvoirs de M. X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1998 du code civil ;

4°) - ALORS QUE la vérification de l'authenticité d'une signature se fait au vu de l'original ; qu'en ne précisant pas, malgré les contestations de la société Schiever Distribution sur ce point, si elle statuait au vu de l'original des documents relatifs au contrat de location pour conclure à l'authenticité de la signature qu'ils portaient, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 287 du code de procédure civile ;

5°) - ALORS QUE les actes sous seing privé ne font foi des faits qu'ils constatent que jusqu'à preuve contraire ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était expressément invitée, si la société Schiever Distribution n'avait reçu communication d'un procès-verbal de livraison différent de celui produit par la société CM-CIC Bail, ce qui montrait la fausseté de ces documents et l'absence de toute livraison, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1320 et 1322 du code civil ;

6°) - ALORS QUE les actes sous seing privé ne font foi des faits qu'ils constatent que jusqu'à preuve contraire ; qu'en se bornant à constater le contenu des actes produits par la société CM-CIC Bail sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'opération qu'ils prétendaient relater n'était pas totalement invraisemblable (avenant antérieur au contrat, livraison d'une machine lourde et complexe le lendemain de la signature du contrat, existence de négociations alors même que le contrat était censé avoir été signé, absence de prix dans le contrat signé avec la société Econolec), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1320 et 1322 du code civil."

Le préjudice écologique existe et doit être indemnisé !

                          


La notion de préjudice écologique est reconnue par la Cour de Cassation.

- L' association Ligue pour la protection des oiseaux, 

partie civile, 

contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 12e chambre, en date du 27 septembre 2013, qui, dans la procédure suivie contre la société Total raffinage marketing du chef d'infractions au code de l'environnement, a prononcé sur les intérêts civils ;


La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 8 mars 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Dreifuss-Netter, conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Schneider, M. Bellenger, conseillers de la chambre, Mmes Harel-Dutirou, Guého, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Lacan ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de Mme le conseiller DREIFUSS-NETTER, les observations de Me LE PRADO, de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD et TRICHET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LACAN ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de violation du principe de réparation intégrale, des articles L. 142-2, L. 216-6 et L. 218-73 du code de l'environnement, 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, dénaturation, violation de la loi ;

"en ce que l'arrêt a, statuant sur les intérêts civils, débouté l'association Ligue pour la protection des oiseaux de sa demande en réparation d'un préjudice écologique ;

"aux motifs que l'indemnisation du préjudice écologique doit se faire suivant les règles du droit commun, la preuve d'une faute, la preuve d'un dommage et la relation de causalité entre les deux ; que la faute de la société Total raffinage marketing est établie par la condamnation pénale devenue définitive ; que la Ligue pour la protection des oiseaux chiffre son préjudice d'abord sur la base d'une destruction des oiseaux et leurs coûts de remplacement ; qu'or, la destruction de trente avocettes élégantes, de trente-deux fous de Bassan, de vingt-sept guillemots de Troïl, de seize pingouins Torda, de quatre macareux moine, d'un grèbe huppé, de cent-soixante-treize « indéterminés » n'est pas prouvée ; que la partie civile le reconnaît elle-même dans ses conclusions, en mentionnant : « une estimation fiable du nombre d'oiseaux touchés a été rendue impossible à évaluer. L'on sait cependant a minima que etc » ; qu'ensuite, la Ligue pour la protection des oiseaux prend pour base son budget annuel de la gestion de la baie de l'Aiguillon (163 000 euros) pour demander le remboursement de deux années de son « action écologique » ; que la partie civile confond son préjudice personnel et le préjudice écologique ; que ses frais de fonctionnement n'ont pas de lien direct avec les dommages causés à l'environnement ; qu'en conséquence, la Ligue pour la protection des oiseaux sera déboutée de sa demande d'indemnisation d'un préjudice écologique ;

"1°) alors qu'un préjudice écologique résulte nécessairement des infractions de rejet en mer ou eau salée de substances nuisibles pour le maintien ou la consommation de la faune ou de la flore et de déversement de substances nuisibles dans les eaux souterraines superficielles ou de la mer ; qu'en retenant une faute de la société Total du chef de ces deux infractions, tout en refusant de reconnaître l'existence d'un préjudice écologique, la cour d'appel qui s'est contredite a ainsi méconnu les dispositions susvisées ;

"2°) alors que le préjudice écologique consiste en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction ; que le rapport de la Ligue pour la protection des oiseaux associé à l'office National de la chasse et de la faune sauvage sur l'impact de la pollution engendrée par la raffinerie de Donges sur la communauté de passereaux paludicoles dans l'estuaire de la Loire effectué à la demande de la préfecture de Loire-Atlantique faisait état de la désertion des zones polluées de ces oiseaux caractérisant, à elle seule, un préjudice écologique ; qu'en s'abstenant de rechercher si un préjudice écologique ne résulte pas des pertes temporaires de Rousserolles effarvattes, de Rousserolles Turdoïde et de Gorgebleues à miroir constatées entre la survenance du dommage et sa réparation effective, consécutives à la dégradation temporaire de leur écosystème, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"3°) alors que les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que le préjudice écologique consiste en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction ; que si la Ligue pour la protection des oiseaux a reconnu qu'« une estimation fiable du nombre d'oiseaux touchés a vait été rendue impossible à évaluer » parce qu'elle n'avait pas eu accès aux chantiers de dépollution et que la benne réservée aux oiseaux morts était restée étrangement vide (cf. conc. d'appel, p. 27 dernier §), elle a affirmé que « l'on sait cependant a minima que trente avocettes, trente-deux fous de Bassan, vingt-sept guillemots de Troïl, seize pingouins Torda, un grèbe huppés, quatre macareux moine, cent soixante-treize oiseaux indéterminés avaie nt été recensés » (cf. concl. d'appel, p. 28, § 1er) de sorte que ces pertes sont réelles ; qu'en considérant que la partie civile reconnaissait elle-même dans ses conclusions que la destruction de ces espèces d'oiseaux n'était pas prouvée, en mentionnant qu'« une estimation fiable du nombre d'oiseaux touchés a été rendue impossible à évaluer ; que, l'on sait, cependant, a minima que etc » (cf. arrêt, p. 6, § 4) tandis qu'elle faisait valoir la destruction irréversible de plusieurs espèces d'oiseaux, la cour d'appel a dénaturé les écritures de la partie civile et a ainsi écarté à tort toute indemnisation résultant du préjudice écologique" ;

Vu les articles 1382 du code civil, L. 142-2 du code de l'environnement et 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles L. 161-1 et L. 162-9 du code de l'environnement ;

Attendu que, d'une part, le préjudice écologique consiste en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction ; que la remise en état prévue par l'article L. 162-9 du code de l'environnement n'exclut pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations habilitées, visées par l'article L. 142-2 du même code ;

Attendu que, d'autre part, il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe et d'en rechercher l'étendue ;

Attendu, enfin, que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite d'une pollution au fuel dans l'estuaire de la Loire, intervenue le 16 mars 2008 et occasionnée par une rupture de tuyauterie de la raffinerie de Donges, exploitée par la société Total raffinage marketing, cette dernière, reconnue coupable de rejet en mer ou eau salée de substances nuisibles pour le maintien ou la consommation de la faune ou de la flore et de déversement de substances entraînant des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la faune ou à la flore, a été condamnée à indemniser diverses collectivités territoriales et associations de leurs préjudices ; que l'association Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a interjeté appel ; 


Attendu qu'après avoir implicitement reconnu l'existence d'un préjudice écologique, la cour d'appel, pour débouter la LPO de sa demande d'indemnisation, retient que celle-ci l'a d'abord chiffrée sur la base d'une estimation, par espèces, du nombre d'oiseaux détruits alors que cette destruction n'est pas prouvée ; que les juges ajoutent qu'en évaluant ensuite son préjudice sur la base de son budget annuel de la gestion de la baie de l'Aiguillon, la partie civile confond son préjudice personnel et le préjudice écologique, ses frais de fonctionnement n'ayant pas de lien direct avec les dommages causés à l'environnement ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs pris de l'insuffisance ou de l'inadaptation du mode d'évaluation proposé par la LPO alors qu'il lui incombait de chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l'existence, et consistant en l'altération notable de l'avifaune et de son habitat, pendant une période de deux ans, du fait de la pollution de l'estuaire de la Loire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 27 septembre 2013, mais en ses seules dispositions ayant débouté la LPO de ses demandes en indemnisation du préjudice écologique, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux mars deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.