Amazon contrats

dimanche 24 avril 2016

Quand la Cour de cassation explique ses décisions

Par deux arrêts qui ont été rendus respectivement le 22 mars et le 6 avril 1996, la Cour de cassation utilise de façon novatrice une motivation explicative et pédagogique.

Afficher l'image d'origine

Voici les deux arrêts en question :

Premier arrêt, du 22 mars 1996

"Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 21 janvier 2014), que

MM. X…, Y… et Z…, qui sont les associés fondateurs de la société Tleta devenue la société Atir rail (la société), ont souhaité obtenir la participation de M. A… à leur projet de développement de la société ; que le 14 février 2003, ils ont conclu avec M. A… un « accord-cadre », aux termes duquel MM. X…, Z… et Y… s’engageaient chacun à céder à celui-ci 5 % du capital de la société « pour le prix forfaitaire et symbolique de 500 euros », cependant qu'« en contrepartie de la cession au prix d’acquisition symbolique précité », M. A… s’engageait à « mettre au service de la société en qualité de directeur commercial sa connaissance du marché ainsi que son industrie, pendant une durée minimum de cinq années » ; que le 5 mars 2003, trois actes de cession de parts sociales ont été signés conformément à l’accord-cadre ; que le 31 mars 2003, la société a engagé M. A… en qualité de directeur commercial ; que par acte du 17 mars 2010, MM. X…, Y… et Z… ont assigné ce dernier, à titre principal, en nullité des cessions de parts pour indétermination du prix, à défaut, pour vileté du prix et, à titre subsidiaire, en résolution des cessions du fait de sa défaillance dans l’exécution de ses obligations ; que M. A… a soulevé la prescription de l’action en nullité et, reconventionnellement, a réclamé le paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Attendu que MM. X…, Y… et Z… font grief à l’arrêt de dire prescrite l’action en nullité des actes de cession de parts alors, selon le moyen, que la vente consentie sans prix ou sans prix sérieux est affectée d’une nullité qui, étant fondée sur l’absence d’un élément essentiel du contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription de droit commun qui était, à l’époque de l’acte litigieux, trentenaire ; que pour déclarer l’action en nullité pour indétermination du prix prescrite, la cour d’appel a retenu que l’action pour indétermination du prix constituait une action en nullité relative visant à la protection des intérêts privés du cocontractant et se prescrivant par cinq ans ; que ce faisant, elle a violé l’article 1591 et l’article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce ;

Attendu que la Cour de cassation jugeait depuis longtemps que la vente consentie à vil prix était nulle de nullité absolue (1re Civ., 24 mars 1993, n° 90-21.462) ; que la solution était affirmée en ces termes par la chambre commerciale, financière et économique : « la vente consentie sans prix sérieux est affectée d’une nullité qui, étant fondée sur l’absence d’un élément essentiel de ce contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire de droit commun » (Com., 23 octobre 2007, n° 06-13.979, Bull. n° 226) ;

Attendu que cette solution a toutefois été abandonnée par la troisième chambre civile de cette Cour, qui a récemment jugé « qu’un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire ou vil est nul pour absence de cause et que cette nullité, fondée sur l’intérêt privé du vendeur, est une nullité relative soumise au délai de prescription de cinq ans » (3e Civ., 24 octobre 2012, n° 11-21.980) ; que pour sa part, la première chambre civile énonce que la nullité d’un contrat pour défaut de cause, protectrice du seul intérêt particulier de l’un des cocontractants, est une nullité relative (1re Civ., 29 septembre 2004, n° 03-10.766, Bull. n° 216) ;

Attendu qu’il y a lieu d’adopter la même position ; qu’en effet, c’est non pas en fonction de l’existence ou de l’absence d’un élément essentiel du contrat au jour de sa formation, mais au regard de la nature de l’intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu’il convient de déterminer le régime de nullité applicable ;

Attendu qu’en l’espèce, l’action en nullité des cessions de parts conclues pour un prix indéterminé ou vil ne tendait qu’à la protection des intérêts privés des cédants ;

Attendu que c’est donc à bon droit que la cour d’appel a retenu que cette action, qui relève du régime des actions en nullité relative, se prescrit par cinq ans par application de l’article 1304 du code civil ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen de ce pourvoi :

Attendu que MM. X…, Y… et Z… font grief à l’arrêt de rejeter leur demande de nullité des actes de cession de parts alors, selon le moyen :

1°/ que le prix de la vente doit être déterminé ou déterminable ; que le prix de vente n’est pas déterminable lorsqu’il est fonction d’éléments dépendant de la volonté unilatérale de l’une des parties ; que pour retenir que le prix n’était pas soumis à la volonté de M. A…, la cour d’appel a relevé que la partie du prix constituée par son activité pour le compte de la société Atir rail était encadrée par un contrat de travail ; que l’exécution du contrat de travail étant rémunérée par un salaire, elle ne pouvait constituer le prix de la cession des parts sociales, qui ne pouvait consister qu’en une contribution au développement de la société allant au-delà de la seule exécution de ses fonctions de directeur commercial ; que le prix prévu sous la forme de cette contribution dépendait de M. A… et était donc indéterminé ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1591 du code civil ;

2°/ que pour dire que le prix n’était pas vil, la cour d’appel a énoncé que la société Atir rail s’était développée en termes de chiffre d’affaires et de résultat ; qu’en ne recherchant pas si ce développement pouvait être imputé à l’activité de M. A… et constituer ainsi le complément de prix prévu, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1591 du code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel ayant déclaré la demande de nullité prescrite sans la rejeter, le moyen, qui n’attaque pas un chef du dispositif de l’arrêt, est irrecevable ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que M. A… fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts alors, selon le moyen, que les juges doivent motiver leur décision ; qu’en se bornant à affirmer que le droit à investissements de M. A… résultait de l’accord-cadre du 14 février 2003, « lequel a été valablement résilié le 2 décembre 2009 », sans répondre aux conclusions de M. A… qui faisait valoir que la résiliation unilatérale et sans préavis du droit à investissements prévu par cet accord-cadre se heurtait à la force obligatoire du contrat, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu’après avoir constaté que M. A… soutenait que sa qualité d’actionnaire lui donnait le droit de participer aux investissements de la société, la cour d’appel, qui a retenu que ce droit n’était pas lié à sa qualité d’actionnaire mais résultait de l’accord-cadre qui avait été résilié le 2 décembre 2009, a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux dernières branches, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois, principal et incident ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour MM. X…, Y… et Z…

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré prescrite l’action aux fins de nullité de la cession des parts sociales du 5 mars 2003 ;

AUX MOTIFS QU’à l’appui de leur demande en nullité des cessions de parts sociales intervenues le 5 mars 2003 entre MM. X…, Z… et Y… et M. A…, les appelants soutiennent à titre principal que le prix de cession convenu, composé d’une partie symbolique en numéraire (3x500 €) et d’un complément consistant en l’engagement de M. A…, n’était ni déterminé, ni déterminable, et à titre subsidiaire, qu’il est vil au regard de la valeur des parts au jour de la cession (3x20000 € environ) ; qu’ils concluent au rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription de leur action et font valoir à ce titre que la nullité de la vente pour indétermination du prix est une nullité absolue, soumise à la prescription trentenaire et qu’il en est de même de la nullité pour vileté du prix ; que M. A… oppose la prescription de l’action en nullité au visa de l’article 1304 du code civil et l’irrecevabilité des demandes ; que la demande en nullité des contrats de vente conclus pour un prix indéterminé ou vil ne tend qu’à la protection des intérêts privés des cédants ; qu’elle relève dès lors du régime des actions en nullité relative qui se prescrivent par cinq ans par application de l’article 1304 du code civil ; qu’il en résulte que l’action en nullité des actes de cession de parts du 5 mars 2003, introduite le 17 mars 2010, soit plus de cinq ans après la conclusion desdits actes, est irrecevable comme prescrite; que c’est à tort que les appelants soutiennent que la prescription en nullité pour vileté du prix n’aurait commencé à courir qu’à compter de la connaissance qu’ils ont eue, le 26 août 2009, du non respect par M. A… ses engagements ; qu’à supposer que M. A… n’ait pas respecté l’ensemble de ses engagements, cette circonstance n’a pas eu pour effet de rendre le prix de cession dérisoire, dès lors qu’il résulte des pièces produites que l’exécution par M. A… de ses obligations a permis ainsi que l’escomptaient les cédants le développement de la société en termes de chiffre d’affaires et de marge notamment ; que la découverte alléguée du non respect des engagements de M. A… en 2009, à supposer ce non respect établi, n’a pas eu pour effet de reporter le point de départ de la prescription, acquise depuis le 6 mars 2008 ; qu’en outre, l’examen des griefs et des pièces produites ne permet nullement de retenir que les cédants n’auraient eu connaissance du non respect par M. A… de ses engagement que le 26 août 2009,

1) ALORS QUE la vente consentie sans prix ou sans prix sérieux est affectée d’une nullité qui, étant fondée sur l’absence d’un élément essentiel du contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription de droit commun qui était, à l’époque de l’acte litigieux, trentenaire ; que pour déclarer l’action en nullité pour indétermination du prix prescrite, la cour d’appel a retenu que l’action pour indétermination du prix constituait une action en nullité relative visant à la protection des intérêts privés du cocontractant et se prescrivant par 5 ans ; que ce faisant, elle a violé l’article 1591 et l’article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce ;

2) ALORS QUE les actions personnelles ne se prescrivent qu’à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits lui permettant de l’exercer ; que pour refuser le report du point de départ du délai de prescription à la date du 26 août 2009, la cour d’appel a retenu que « l’exécution par Monsieur A… de ses obligations a permis ainsi que l’escomptaient les cédants, le développement de la société »; qu’en se déterminant par des motifs relatif au bien-fondé de la demande, inopérants s’agissant de sa recevabilité, la cour d’appel, qui n’a pas recherché la date à laquelle Messieurs X…, Z… et Y… avaient eu connaissance de la cause de nullité qu’ils invoquaient, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1591 et de l’article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce ;

3) ALORS QUE les actions personnelles ne se prescrivent qu’à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits lui permettant de l’exercer ; qu’en retenant, pour refuser le report du point de départ de la prescription au 26 août 2009, date à laquelle les exposants avaient eu connaissance de la cause de nullité qu’ils invoquaient, que la prescription était acquise depuis le 6 mars 2008, quand cette prescription n’ayant pu, en cas de report de son point de départ, commencer à courir, ne pouvait être acquise, la cour d’appel a violé l’article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande de nullité de la cession de parts sociales du 5 mars 2003,

AUX MOTIFS QU’il sera relevé, de manière surabondante, que les cessions litigieuses ont été conclues pour un prix en numéraire de 500 euros, M. A… s’engageant en outre à mettre ses compétences au service de la société pendant une durée de 5 ans minimum, et ce dans le cadre d’un contrat de travail qui a été signé concomitamment; qu’il ne peut dès lors être utilement soutenu que le prix convenu aurait été indéterminable, « objectivement » ou comme dépendant de la seule volonté de M. A…, alors que l’activité de celui-ci était encadrée par un contrat de travail et que les vendeurs connaissaient parfaitement la valeur de la collaboration de M. A… pour le développement de leur projet ; qu’il ne peut davantage être retenu que le prix de cession aurait été vil, alors que le faible prix versé en numéraire s’expliquait par le développement de la société Atir rail qu’escomptaient MM. X…, Z… et Y… en associant M. A… à leur projet plutôt qu’en le laissant prendre la direction, qui lui était proposée, d’une société concurrente, développement qui s’est au demeurant effectivement réalisé, comme en témoigne la forte augmentation du chiffre d’affaires et de la marge réalisés par la société Atir rail sur la période 2003-2008 ; que la thèse de la viIeté du prix tirée de « l’absence du complément de prix convenu en raison de la gravité des agissements de M. A… ayant eu pour effet de rendre le prix vil » n’est, en tout état de cause, pas susceptible de prospérer dès lors que les agissements reprochés à M. A… et qui fondent la demande examinée plus loin en résolution des cessions ne sont, pour l’essentiel, pas établis ainsi qu’il sera vu ci-après,

1) ALORS QUE le prix de la vente doit être déterminé ou déterminable ; que le prix de vente n’est pas déterminable lorsqu’il est fonction d’éléments dépendant de la volonté unilatérale de l’une des parties ; que pour retenir que le prix n’était pas soumis à la volonté de Monsieur A…, la cour d’appel a relevé que la partie du prix constituée par son activité pour le compte de la société ATIR RAIL était encadrée par un contrat de travail ; que l’exécution du contrat de travail étant rémunérée par un salaire, elle ne pouvait constituer le prix de la cession des parts sociales, qui ne pouvait consister qu’en une contribution au développement de la société allant au-delà de la seule exécution de ses fonctions de directeur commercial ; que le prix prévu sous la forme de cette contribution dépendait de Monsieur A… et était donc indéterminé ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1591 du code civil ;

2) ALORS QUE pour dire que le prix n’était pas vil, la cour d’appel a énoncé que la société ATIR RAIL s’était développée en termes de chiffre d’affaires et de résultat ; qu’en ne recherchant pas si ce développement pouvait être imputé à l’activité de Monsieur A… et constituer ainsi le complément de prix prévu, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1591 du code civil.Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour M. A…

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt d’AVOIR rejeté la demande reconventionnelle de Monsieur A… relative aux sommes dues au titre de l’exécution de l’accord cadre

AUX MOTIFS QUE Monsieur A… soutient que sa qualité d’actionnaire lui donnait le droit de participer à hauteur de 15 % à l’acquisition des wagons investis par ATIR RAIL et demande réparation du préjudice qu’il évalue à la somme de 82.969,60 euros ; mais que cette demande ne peut prospérer dès lors que le droit à investissements sur lequel Monsieur A… fonde sa demande n’était pas lié à sa qualité d’actionnaire mais résultait de l’accord cadre du 14 février 2013 (lire 2003) lequel a été valablement résilié le 2 décembre 2009 ;


ALORS QUE les juges doivent motiver leur décision ; qu’en se bornant à affirmer que le droit à investissements de Monsieur A… résultait de l’accord cadre du 14 février 2003, « lequel a été valablement résilié le 2 décembre 2009 », sans répondre aux conclusions de Monsieur A… qui faisait valoir que la résiliation unilatérale et sans préavis du droit à investissement prévu par cet accord cadre se heurtait au principe de la force obligatoire du contrat, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile."



Deuxième arrêt, du 6 avril 1996 :

"Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la commune d’Ajaccio a confié à la société X… et fils (la société), par une délégation de service public, la construction et l’exploitation d’un crématorium situé au lieudit du Vazzio ; que, soutenant que le tract diffusé par un collectif dénommé « Collectif contre le crématorium au Vazzio » (le collectif), ainsi que la pétition que celui-ci avait mise en ligne sur Internet, contenaient des propos diffamatoires à leur égard, la société, MM. Y… et Marc-Xavier X… et Mmes Françoise, Valérie et Elodie X… (les consorts X…) ont assigné les membres de ce collectif et la société Groupe Nextone Media Limited, hébergeur du site en cause, aux fins d’obtenir réparation de leur préjudice ;

Sur le moyen tiré de la nullité de l’assignation, relevé d’office, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :

Vu l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Attendu qu’en vertu de ce texte, l’assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé, et indiquer le texte de loi applicable ;

Attendu que, selon une jurisprudence constante, la chambre criminelle de la Cour de cassation décide qu’elle a le devoir de vérifier, d’office, si la citation délivrée est conforme au texte susvisé et, notamment, qu’elle mentionne le texte qui édicte la peine sanctionnant l’infraction poursuivie ; que la première chambre civile de la Cour de cassation a cependant jugé que la seule omission, dans l’assignation, de la mention de la sanction pénale encourue, que la juridiction civile ne peut prononcer, n’était pas de nature à en affecter la validité (1re Civ., 24 septembre 2009, pourvoi n° 08-17. 315, Bull. n° 180) ; que, toutefois, par arrêt du 15 décembre 2013 (pourvoi n° 11-14. 637, Bull. n° 1), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, saisie de la question de la validité d’une assignation retenant pour le même fait la double qualification d’injure et de diffamation, a affirmé que l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 devait recevoir application devant la juridiction civile ; que cette décision, qui consacre l’unicité du procès de presse, conduit à une modification de la jurisprudence précitée, justifiée par la nécessité d’unifier les règles relatives au contenu de l’assignation en matière d’infractions de presse, que l’action soit engagée devant la juridiction civile ou la juridiction pénale ;

Attendu qu’en l’espèce, les assignations délivrées à la requête de la société et des consorts X… visent l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, mais non l’article 32 de la même loi ; que, dès lors, à défaut de mention du texte édictant la peine applicable aux faits de diffamation allégués, ces assignations encourent la nullité ;

Attendu, cependant, que, si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, la mise en oeuvre de ce principe peut affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action, de sorte que le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu’il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s’il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste ; que les assignations en cause, dont les énonciations étaient conformes à la jurisprudence de la première chambre civile, ont été délivrées à une date à laquelle la société et les consorts X… ne pouvaient ni connaître ni prévoir l’obligation nouvelle de mentionner le texte édictant la peine encourue ; que, dès lors, l’application immédiate, à l’occasion d’un revirement de jurisprudence, de cette règle de procédure dans l’instance en cours aboutirait à priver ces derniers d’un procès équitable, au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en leur interdisant l’accès au juge ; qu’il n’y a donc pas lieu d’annuler les assignations ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 4 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter les demandes formées par la société et les consorts X…, l’arrêt énonce que, selon leurs conclusions, les faits de diffamation dénoncés tiendraient au projet de création d’une usine à brûler des corps humains, générant une pollution aussi dangereuse que des déchets nucléaires, dans un site habité, contrairement à l’usage répandu sur le territoire national ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la société et les consorts X… incriminaient également l’emploi, dans le texte de la pétition, des termes « usine équipée de fours crématoires » et soutenaient que ces termes faisaient référence aux fours crématoires des camps d’extermination nazis, la cour d’appel a méconnu l’objet du litige et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes de la société X… et fils, de MM. Y… et Marc-Xavier X… et de Mmes Françoise, Valérie et Elodie X…, l’arrêt rendu le 12 novembre 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Bastia ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;

Condamne les défendeurs au pourvoi aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour les consorts X… et la société X… et fils.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que l’action en diffamation n’était pas fondée et d’avoir débouté la SAS X… et Fils, M. Y…

X…, Mme Françoise X…, Mme Valérie X…, M. Marc Xavier X… et Mme Elodie X… de leurs demandes ;

AUX MOTIFS QUE dans leurs dernières conclusions déposées le 5 mai 2014 auxquelles il convient de se référer pour un exposé complet de ses prétentions et parties, les appelants exposent que la famille X… a développé depuis 1972 une entreprise de pompes funèbres exercée sous forme de SARL à compter de 1995 puis de SAS en 2005, laquelle a bénéficié de la ville d’Ajaccio d’une délégation de service public du 14 décembre 2011 ayant pour objet la construction et l’exploitation d’un crématorium sur la commune d’Ajaccio ; qu’un arrêté de permis de construire a été accordé le 5 juillet 2012 ; qu’ils expliquent que le 27 juillet 2012 a été mis en ligne une pétition émanant d’un « collectif contre le crématorium au Vazzio » et qu’un tract a également été distribué sur la commune d’Ajaccio qu’ils estiment être diffamatoires à leur égard en application de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ; que pour répondre à l’argumentation des intimés, ils réfutent la nullité de l’assignation au regard des prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 et la prescription trimestrielle retenue par le premier juge ; que sur le fond, les appelants soutiennent que les faits de diffamation ressortent des écrits tant sur le tract que sur la pétition en ligne sur Internet contre la réalisation d’un crématorium au Vazzio ; qu’ils soutiennent que la famille X… est parfaitement identifiable et qu’il est spécifiquement précisé que va être créée une usine à brûler des corps humains, générant une pollution aussi dangereuse que des déchets nucléaires, dans un site habité contrairement à l’usage répandu sur le territoire national et dans les conditions de la vidéo en ligne telles que décrites par Me Marie-Pierre F., huissier de justice, le 17 septembre 2012 ; que l’ensemble de ces faits est constitutif d’une atteinte à l’honneur et à la considération de la SAS X…& Fils qui si elle n’est pas explicitement nommée, est parfaitement identifiable au regard à la fois de l’ensemble des articles de presse relatifs à la création du crématorium, à la publicité légale et réglementaire de l’ensemble des actes administratifs liés à cette construction, que ce soit la délégation de service public, l’enquête publique, l’arrêté de permis de construire ou la tenue du Conseil Départemental de l’Environnement des Risques Sanitaires et Technologique ou encore l’arrêté préfectoral d’autorisation de création du crématorium ; (…) qu’il convient de constater que les intimés ne contestent pas être les auteurs du tract et de la pétition en ligne renvoyant à un site Web sur l’incinération ; (…) que, sur le fond, le tract et la pétition ont fait l’objet d’un constat d’huissier auquel il conviendra de se reporter pour en connaître le contenu dans le détail d’ailleurs repris dans les conclusions des appelants en leur entier ; qu’il convient de noter que ni le tract ni la pétition ne cite la SAS X…& Fils ni aucun des membres de la famille X… et qu’elles ne mettent en cause que la création d’un crématorium sur un site que les auteurs jugent inopportun ; que le tract aussi bien que la pétition ont pour but de s’opposer à la création d’un crématorium dans un lieu non isolé ; qu’il appartient aux parties poursuivantes de préciser les passages de l’article qu’elles estiment diffamatoires au regard des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ; que si l’on s’en tient aux conclusions ci-dessus rappelées, les faits de diffamation dénoncés tiendraient aux faits que va être créée une usine à brûler des corps humains, générant une pollution aussi dangereuse que des déchets nucléaires, dans un site habité contrairement à l’usage répandu sur le territoire national et dans les conditions de la vidéo en ligne ; que les auteurs du tract et de la pétition critiquent la création d’un crématorium, dont, pour eux, l’activité est nocive, critiquent également l’absence de concertation avec les riverains lors des décisions administratives prises en vue de cette création, mais ne mettent nullement en cause l’honneur et la considération tant de la SAS susnommée que les membres de la famille X… ; qu’en conséquence, l’action n’est pas fondée et les appelants seront déboutés de leurs demandes ;

1°) ALORS QUE s’il n’expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l’indication de leur date ; que l’arrêt qui vise des conclusions (du 5 mai 2014) antérieures aux dernières déposées (le 21 juillet 2014) et n’expose, ni ne rappelle dans la motivation, que les exposants faisaient valoir que la diffamation était notamment constituée l’allégation de ce que les exposants allaient mettre en oeuvre des procédés assimilables aux fours crématoires des camps d’extermination nazis et maltraitant les dépouilles des défunts, viole les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;

Subsidiairement

2°) ALORS QU’en retenant qu’à s’en tenir aux conclusions des exposants, les faits de diffamation dénoncés tiendraient aux faits que va être créée une usine à brûler des corps humains, générant une pollution aussi dangereuse que des déchets nucléaires, dans un site habité contrairement à l’usage répandu sur le territoire national et dans les conditions de la vidéo en ligne, quand les exposés avaient fait valoir que la diffamation était également constituée par l’allégation de ce que les exposants allaient mettre en oeuvre des procédés assimilables aux fours crématoires des camps d’extermination nazis et maltraitant les dépouilles des défunts, la cour d’appel a méconnu les prétentions des exposants en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QU’en retenant que les auteurs du tract et de la pétition critiquaient la création d’un crématorium, dont, pour eux, l’activité était nocive, critiquaient également l’absence de concertation avec les riverains lors des décisions administratives prises en vue de cette création, mais ne mettaient nullement en cause l’honneur et la considération tant de la SAS susnommée que les membres de la famille X…, sans répondre au moyen pris de ce que les intéressés imputaient aux exposants le projet de mettre en oeuvre des procédés assimilables aux fours crématoires des camps d’extermination nazis, et maltraitant les dépouilles des défunts, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QU’en se fondant, pour écarter la diffamation, sur le fait que ni le tract ni la pétition ne citaient la SAS X…& Fils ni aucun des membres de la famille X…, sans rechercher si, ainsi que le faisaient valoir les exposants, ils n’étaient pas parfaitement identifiables au regard de l’ensemble des articles de presse relatifs à la création du crématorium, à la publicité légale et réglementaire de l’ensemble des actes administratifs liés à cette construction et compte tenu de ce que seules la famille X… et la SAS X…& Fils exercent une activité de funérarium dans la zone industrielle du Vazzio, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

5°) ALORS QUE porte atteinte à l’honneur et à la considération l’allégation mensongère de ce que l’activité d’une entreprise génère une pollution dangereuse pour la santé des vivants, entraînant le rejet de métaux lourds, de mercure et de dioxine cancérigènes et produisant des déchets assimilables aux déchets nucléaires ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

6°) ALORS QU’en retenant que les auteurs du tract et de la pétition critiquaient la création d’un crématorium, dont, pour eux, l’activité était nocive ainsi que l’absence de concertation avec les riverains lors des décisions administratives prises en vue de cette création, mais ne mettaient pas en cause l’honneur et la considération tant de la SAS susnommée que les membres de la famille X…, sans rechercher si, ainsi que le soutenaient les exposants, cette mise en cause n’était pas constituée par l’affirmation que l’activité de crémation de l’exposante était réalisée dans des conditions n’assurant pas le respect dû à la dépouille des défunts, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881."


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.